Tu-y-habites ?
Non, non, ce n'est pas chez moi, mais c'est là le berceau familial de mes beaux-parents, plus précisément celui de ma belle-mère.
Marie (Claire) et Mira (la chienne) - Pépé Joseph (60 ans) en 1963
D'habitude, c'est moi qui coiffe le thuya, "l'sapin" disait le pépé Joseph. Mais là, cette année, et peut-être bien depuis 2 ans je n'y ai pas touché.
La taille du sapin, c'est un truc qui se refile en héritage de son vivant, de beau père en gendre depuis 3 générations. L'année de la transmission, c'est celle où, l'âge venant, la crainte du vertige et de la perte d'équilibre vous gagne.
Moi, pour ma première taille en 1991, les trois générations étaient encore là, chacune à sa place. Pépé Joseph dans son fauteuil, sortant sur le perron silencieusement à petits pas, confiant. Nous lui demandions son avis par gentillesse, il se contentait souvent de sourire en opinant de la casquette, pointant du bout de la canne un épi rebelle dans la coiffure du sapin, chevrotant parfois un "oooh, lààà !" à peine audible. La canne parlait à sa place. Pépé Joseph avait encore l'oeil expert du tailleur de pierre pour détecter un petit défaut de symétrie, mais aussi la modestie discrète, ou la lucidité résignée de l'âge pour n'en pas faire une affaire. Pierrot, mon beau père, a les missions essentielles d'assistant monteur-tourneur-stabilisateur d'échelle, de surveillant du cable électrique et de chef des travaux. De plus, il ramasse les rognures et donne son avis avec recul et expérience. Et moi, je suis tout en haut de l'échelle à 6 ou 7 mètres, un peu chez les passereaux, rêvant de vélo, dominant les alentours, le taille haie électrique à bout de bras, le nez chatouillé par les effluves d'en bas.
Dans une telle aventure familiale, la place des femmes est d'abord aux fourneaux. Les senteurs du rôti de veau de mémé Jeanne parviennent jusqu'au sommet du sapin. Elles s'enfuient même bien au-delà, ce qui fait dire au village : "Chez les DUFOUR, l'rôti est au four et l'gendre est dans l'sapin". Parfois l'une d'entre elles sort sur le perron et tente un avis, mais le maître..., le vrai, le seul..., il est perché, il fait ce qu'il veut..., il fait ce qu'il peut ! Quant aux enfants, ils s'écartent, jouent prudemment à distance, attendent le rôti et la "bonne marande"... c'est ce qu'on pense qu'ils font. A moins qu'ils ne profitent de l'attention générale à l'opération pour perpétrer quelque expérience ou menue sottise au loin ?
Pierrot, ou pépé Pierre selon qu'on lui est aîné ou cadet, je ne l'ai jamais vu au sommet de l'échelle. Il l'a fait c'est sûr, peut-être aidé de pépé Joseph. Mais il a aussi réussi à profiter de sa situation professionnelle de mécanicien auto aux PTT, et d'une bonne bouteille de MONTAGNY-LES-BUXY 1er cru, pour parfois détourner une petite heure de sa tournée de chantiers une nacelle des Télécoms ; ça, il ne faut pas le répéter. Et puis d'abord, sans doute en profitait-il pour prendre des nouvelles de la mécanique, redonner un tour de vis ou une goutte d'huile au camion-nacelle !
"L'sapin", il grossit et grandit et n'a pas droit à sa coupe chaque printemps, plutôt tous les deux ou trois ans. Ces dernières années je m'étais fait rare au PULEY (71), trop avide de bicyclette..., une excuse familiale encore recevable. N'y tenant plus, le pépé Pierre y est allé l'été dernier du taille haie, à bout de bras, sans déployer l'échelle. Le résultat, certes parfait en bas, est tout de même trop évocateur, trop suggestif dans l'ensemble. Il a fallu que nous redescendions ce lundi de Pâques du MONT-SAINT-VINCENT avec une petite équipe de cyclos au long cours pour que je constate cette silhouette équivoque !
Décidément je ne peux pas laisser ça comme ça, en l'état, au risque que "l'sapin des DUFOUR" ne devienne la risée de tout ce qui passe, roule, piétine ou crapahute devant lui. Quant à vouloir révolutionner l'art topiaire en y introduisant une dimension pornographique, involontaire précisons-le bien, très peu pour nous !
Et voilà l'travail ! Sorti du peigne-rasoir de son coiffeur habituel hier 13 avril 2010, le thuya a maintenant une belle silhouette de...
... suppositoire !
N'ayant que des descendants mâles, question gendre, ni moi, ni mon beau-frère ne pourrons transmettre ce savoir faire et cette mission technique de haut vol. Sauf à tenter de percher les belles-filles en haut de l'échelle, il faudra bien un jour revoir les règles de l'héritage !
Avant : thuya-b... Après : thuya-s...
F6 - avril 2010
("importé", corrigé septembre 2014)