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En balade, né au vent
14 juin 2014

MORVAN : Le temps dure (1)

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En lisière de "Champ Moiron" d'ANOST-VAUMIGNON

Soulevons aujourd'hui un coin du voile du temps recouvrant le Morvan avec une nouvelle que Philippe BERTE-LANGEREAU m'autorise fort gentiment à vous offrir ici.

Place au conteur écrivain...

 

LE COQ DES VOISINS

 

Les deux maisons sont situées un peu à l'écart des autres ; un peu au-dessus. On appelle ce quartier-là « le Souessot ». Il y a, plus bas, « lai Toque de Loup » et encore « le Bouégnon ».

Le Souessot, c'est en fait un long corps de bâtiment où logement, granges et écuries se succèdent à la mode d'ici. Deux familles y vivent. Il y a deux cours séparées l'une de l'autre par un escalier de grenier perpendiculaire au bâtiment.

Deux familles. A l'origine, une seule. Et puis, vers 1893, un des gars avec l'argent que sa femme avait rapporté de nourrice, avait fait monter une maison dans le prolongement de celle des parents. Avec les héritages et les partages, on ne savait plus trop bien à quel degré on était devenu cousins.

Aujourd'hui, l'ensemble n'a guère changé.

Première cour, en montant du Bouégnon, le Mon-mon et la Fifine, sa femme, si grosse que ça fait dire à la secrétaire de mairie « qu'il y a de la viande après l'os ». Question délicatesse, on ne fait guère mieux. Le Mon-mon a mené vaille que vaille sa petite culture, pas mal charrié avec le Jean des Biottes dont les bœufs, avec leurs cornes, peinaient à passer dans la porte de l'écurie ; il a fait les campagnes de betteraves dans les Bons Pays, travaillé à la construction du barrage après-guerre. Enfin, joint à peu près les deux bouts même s'il manquait généralement 19 sous pour faire 20 sous. La Fifine, en plus de ses 4 gamins, en a élevé 6 de l'assistance publique.

Tout ça s'est envolé du nid, dispersé un peu partout et ma foi, les deux vieux restent là, dans leur maison du Bouégnon. Les gamins viennent les voir de temps en temps mais aucun n'est resté dans le coin ; il y en a des mariés, des démariés, des pas mariés. Il y a des gamins, d'autres qui n'en ont pas, d'autres encore qui ont devancé l'appel et qui en ont fait à leur tour. Si bien que, de nichée en nichée, avec les gamins et ceux qu'ils ont élevés (4 et 6, 10), plus les gamins des gamins et encore ceux des gamins, ils ont au bas mot 20-25 petits et arrière petits-enfants. C'est trop pour la Fifine qui ne retient même pas les prénoms.

Comme elle dit : « des noms qu'ai dounont, d'tai l'heu ! Des Vanessa, des Linda, des Cynthia... N'en se demande lai vou qu'ai vont sarcer tout çai ! »

Deuxième cour : le Dédé et la Stéphanie. Plus les gamins. Là non plus, ce n'est pas simple généalogiquement. Les parents du Dédé sont morts tous les deux. Ils habitaient là et vivaient comme le Mon-mon. Deux jours de bon, un de mauvais et ça faisait trois jours de passé. Le Dédé était seul et puis, il y eut deux ou trois gamins de l'Assistance. Comme à côté, tout le monde est parti de droite et de gauche, les vieux sont restés seuls et ont fini par dételer et rejoindre le cimetière.

Le Dédé avait une bonne place à Paris. Au moins d'en­tendre dire à sa mère : « i ne sais pas chi ai Tôt chef ou président, ma ai Tôt au moins ministre ». Il faut dire que la Julie n'avait pas cassé trois pattes à un canard.

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Les deux maisons ne se sont jamais entendues du temps des vieux. Ça avait commencé avec une histoire de cane. Une cane de la Fifine avait bien couvé dans le fouènot de la Julie. Evidemment, quand la cane avait ramené ses treize rejetons chez la Fifine, la Julie lui avait dit : « tai cane ai coué se nous, ses p'tiots sont d'ai nous ». Logique qui avait scandalisé la Fifine. Quoi ! ma cane couve dans ton foin et tu veux les petits canards ! L'affaire avait tourné à la tem­pête, la Julie, n'avait pas débridé et comme elle voyait bien qu'elle ne viendrait pas à bout de la Fifine, dès qu'elle le pouvait, elle assommait un caneton en les canardant (c'était le cas de le dire) avec des pierres de sa cour.

La Fifine qui la soupçonnait, la surprit un jour et les mèches de cheveux volèrent dans la cour en affolant les coqs, les poules et les oies qui poussaient des cris qu'on entendit du pays à côté.

Les hommes s'y mirent aussi car ressortirent de vieilles rancunes et des « choses » qu'on avait gardées pour ne pas remuer « le bâton mardoux ». Mais l'étincelle avait jailli et le tonneau de poudre n'était plus assez gros maintenant pour entretenir les haines venimeuses, les insultes quotidiennes et blessantes comme des râpes à gruyère.

Des fois, nom de dieu, ai vont s'en raipler de lai frottée, le Mon-mon prenait son merlin à fendre le moule, s'en­gouffrait à deux-trois heures du matin dans l'écurie et se mettait à tambouriner contre le mur qui correspondait avec le chambrillon où baugeaient la Julie et son homme. Pendant une demi-heure-une heure, le bon Mon-mon mar­telait la pierre avec des « han ! han ! » qui ébranlaient le pignon de 80 cm d'épaisseur. Les deux autres ne sortaient jamais dans ces coups de temps-là.

Mais le lendemain, la Julie empoignait une boîte de conserves, la plongeait dans le lagot de fumier qui marinait dans la cour et allait en bénir le linge de la Fifine qu'elle avait étendu sur la haie des jardins mitoyens, à l'ancienne mode. Bon dieu, des boniments qu'elle poussait quand elle s'en apercevait !

Ou bien, les deux hommes s'écharpaient dans un chemin, se prenaient au collet, se mettaient une bonne peignée jusqu’a ce que l'un des deux reste dans le fossé.

Une guerre qui amusait les gens du voisinage. Et ce jusqu’à la fin.

Quand la Julie et son vieux s'en allèrent à quelques mois d'écart, ils manquèrent aux deux autres dont la vie prenait un cours monotone et calme après les typhons qui surgis­saient de temps à autre. Ils s'ennuyèrent et leurs colères à l'un comme à l'autre, qui s'étaient finalement éteintes, tari­rent aussi leurs conversations. Le vieux Mon-mon se chauf­fait les pieds vers son poêle, un échafaudage curieux, d'ailleurs. Quand les gamins étaient petits et pour éviter qu'ils ne se brûlent en touchant le poêle, le Mon-mon n'avait pas fait dans la bricole. Il avait démonté l'entourage en fonte de la tombe d'un vieil oncle et l'avait remonté autour du calorifère incandescent. Cette grille de 70 cm de hauteur, encadrant bien le poêle fit sensation dans le pays. On en parla longtemps comme d'une merveille d'ingéniosité. Pas bête, quand même, le Mon-mon.

Et puis, un jour, alors que la maison d'à côté n'était plus habitée depuis des années et que personne n'y venait plus, la Fifine voit arriver un gars de 35-40 ans. Il avait garé sa voiture dans la cour d'à côté et la Fifine observait la scène, l'air de rien, depuis son pronde. Elle n'en perdit pas une bouchée.

Elle reconnut le Dédé, le gars de la Julie.

Il tourna, vira, entra dans la maison, dans les bâtiments. Tout avait pris l'aspect pathétique de ces maisons qui ne respirent plus, volets clos et cour envahie d'herbes et d'orties. Il resta bien une heure.

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Mais comme il savait que les voisins n'avaient pas fait de cadeau à ses parents pour lesquels, bien sûr, il prenait fait et cause, il remonta dans l'auto, démarra et sans même un regard pour la Fifine, il descendit la route.

Ce fut un sujet de conversation pour elle et le Mon-mon, autant le dire ! Les conjectures les plus tortueuses les tinrent pendant un moment. Enfin, la Fifine alla serrer ses poules, le coq et les trois oies qu'elle faisait « pour les gamins ».

Un mois plus tard, le Dédé revint chez lui, par le fait. Il resta une semaine à taper, bricoler, entrer, sortir, mener une vie qui scia les deux voisins qui ne voyaient plus les roues tourner. Le Mon-mon fit des travaux d'approche, timidement il s'avança prenant comme prétexte de monter l'escalier du grenier. Mais l'autre l'ignorait superbement.

Et puis, un jour, le reste arriva. Une jeune femme débarqua avec armes et bagages, au volant d'une vieille alpine Renault recouverte d'autocollants de toutes les nations : bière, cigarettes, etc. et d'au-delà encore. Dans l'habitacle, une radiocassette martelait un rap endiablé, « boum, boum, boum » à casser les méninges...

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Ce qui fit dire au Mon-mon qui sortit de sa carrée comme un diable d'une boîte : « Nom de dieu, on dirot qu'ai l'en-fonçont des pô d'acacia ! "Boum, boum, boum " » Scié, le Mon-mon... La femme sortit de la voiture, le verbe haut, la voix éraillée, caleçon moulant et poitrine avantageuse. Derrière elle, trois gamins. Pas du genre calmes, non plus.

Mais polis. On dit bonjour. Le Mon-mon et la Fifine répondirent humblement. Toute cette couleur, cette musique, cette agitation les impressionnaient grandement. Et puis le Dédé suivit un peu derrière avec un fourgon de déménagement.

La Fifine comprit de suite. De nouveaux voisins. Qu'en penser ? Du bien, du mal ? On verrait. Mais comme ils souffraient plus de la solitude que d'autre chose, leur pre­mière réaction fut de se diriger vers les nouveaux venus.

La femme - Stéphanie - une jeune de 28 ans avait deux gamins à elle, le Dédé un. Ma foi, comme beaucoup, cette famille raccordait les tuyaux comme elle pouvait : Kremlin-Bicêtre, chômage, RMI et toute la panoplie d'aujourd’hui ; le gars de la Julie s'était dit que, tant qu'à faire d'être dans le pétrin, ils seraient mieux au Souèssot que dans un bloc à Paris.

C'est ainsi qu'ils échouèrent à la case départ.

La vie s'organisa, les jours coulèrent et, ma foi, les deux maisons coexistaient pacifiquement. La Stéphanie, une titi de la banlieue nord-est qui en avait vu d'autres, s'entendit comme larron en foire avec la Fifine que toute cette nouveauté excitait au plus haut point. Et puis, les gosses, les copains, la famille, il y avait tout un branle-bas, des têtes nouvelles, des allées et des venues, tout ceci entretenait au Souèssot une agitation qu'on n'y avait jamais connue. Chaque jour apportait ses surprises.

Et puis, que de nouveautés !

Le Dédé, par exemple, travaillait à droite et à gauche, les sapins, les champignons, le noir, le blanc, bref avec les RMI, les alloc' de ceci, les alloc' de cela, on vivait ici amplement mieux que dans la ville de Paris. Et puis, des économies aussi. Quand il travaillait chez la Poinsotte par exemple, chaque jour, il y emportait une batterie de camion qu'il mettait en charge là-bas. Le soir, la batterie gorgée et raccordée à la télé permettait de regarder Dallas ou autre chose sans bourse délier.

Ou bien, le WC. Il fallut trouver une solution. Après tout, à Paris, on avait toutes les commodités. Ici, rien. La Julie et son vieux vivaient comme dans le temps.

Sous la maison du Dédé, il y avait une ample cave voûtée comme souvent ici. Ni une ni deux. Mon Dédé en mura l'entrée avec des parpaings, perça la voûte depuis un coin d'une des chambres, installa une cuvette entourée de deux plaques de placo et d'une porte en papier mâché et cette cave immense constitua du jour au lendemain une superbe fosse septique.

Le Mon-mon se pâmait devant ces chefs-d'œuvre sortis de la tête du Dédé.

Et puis, un jour, la Stéphanie se toqua de volailles. Elle eut bien la marotte des poules et des oies ! A force d'en voir chez la voisine, elle se dit : « Pourquoi pas moi ? »

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Le Dédé clôtura leur cour de bric et de broc pour éviter la divagation sur la route. Bientôt, la Stéphanie eut une jolie petite basse-cour et notamment, un superbe coq qu'on avait donné à son copain Dédé pour un service rendu. Le coq était resplendissant et tonnait du haut des marches du grenier. Une belle bête, vraiment.

La Fifine en avait un aussi, mais vieux et moins beau. En plus, il avait un défaut à la patte et il n'arrivait plus trop bien à cocher les poules. Si bien que la Fifine quand elle mettait des œufs à couver, en avait beaucoup de clairs, d'inféconds. Elle n'hésita pas. Elle saisit son coq, un beau matin alors qu'il n'était pas encore sorti de la juche, le prit sous son bras et lui coupa le cou. Elle en fit un coq au vin qui les régala tous les deux son vieux.

Son plan était des plus simples. A quoi bon garder son vieux coq plus utile à rien mais qui continuait quand même de manger du grain, alors que celui de la Stéphanie était toujours fourré dans sa cour à crôper ses poules ?

C'était tout bénéfice : le vieux coq ne mangerait plus de grain, le coq de la Stéphanie crôpait ses poules et lui assurait des couvées réussies.

Elle n'en dit rien, évidemment, à la Stéphanie.

Mais un soir, alors que la Fifine s'apprêtait à lancer du grain à ses six poules et aux trois oies, voilà mon coq qui saute le grillage, vient dans sa cour d'un air avantageux et, sans tambour ni trompettes, crôpe une poule. Jusque-là, rien à redire, le coq faisait utilement son office.

Mais quand le grain fut lancé, les poules accoururent et le coq aussi, bien sûr.

La Fifine, sans ménagement, le chassa.

« Le grain, tu l'meuzes se tai patronne ! Tu crôpes mes poules, tu ne vas pas aussi meuzer mon grain, non ! »

 

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Le coq en fut marri mais n'en continua pas moins de crô­per les poules de la Fifine.

Elle n'en demandait pas plus. 

¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤

 

Cette nouvelle est extraite du recueil  "Ceux du Morvan" dont la lecture a ravi soirées de marcheurs, bons moments familiaux en compagnie de nos "anciens", et bien fait rire les plus jeunes.

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La bibliographie de Philippe BERTE-LANGEREAU est copieuse, consacrée essentiellement aux multiples facettes d'un Morvan riche de traditions et de particularités, ainsi qu'à quelques romans.

Si le territoire géographique est bel et bien planté et rassemblé comme une île granitique au milieu de la Bourgogne, les ressources culturelles littéraires, documentaires, sonores, iconographiques, semblent en filer comme sable. De multiples associations, revues locales, maisons d'éditions régionales publient ; mais seuls quelques endroits parviennent à rassembler un fond un peu conséquent (Abbaye de La Pierre qui vire à SAINT LEGER VAUBAN 89 / Maison du Parc à SAINT BRISSON 58 / Maison du patrimoine oral à ANOST 71 et probablement les rayons des bibliothèques universitaires dijonnaises peu accessibles). Pour se procurer un ouvrage de Philippe BERTE-LANGEREAU, mieux vaut "glaner" sur place en Bourgogne, que compter sur internet ; avec un peu de chance, il ne sera pas "épuisé". Ainsi la littérature du Morvan se méritera-t-elle autant que le pays. On est ici loin des "autoroutes" du tourisme, sur les petites sentes de l'identité et des racines.

Les illustrations charmantes d'un trait "tout simple" de Chantal DUNOYER, "galligraphiste", sont  reproduites avec son aimable autorisation. On peut facilement lui rendre viste là, dans sa basse-cour. Chantal me dit que ce site n'est pas régulièrement actualisé et précise que ses poules datent des années 1985, depuis, son travail s'enrichit explorant bien d'autres matériaux.

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à suivre, Le temps dure... en photo.

F6 - décembre 2010

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Commentaires
A
Vrai que les poules de YMDS illustreraient bien ce post !
M
J'ai adoré ton histoire.<br /> <br /> je connais les dessins de Chantal Dunoyer sans toutefois me rappeler où je les ai vus.
H
Ca y'est, après plusieurs tentatives de lecture de cet extrait, perturbées par deux fois par les uns ou les autres, j'ai ENFIN réussi à le lire entièrement et je me suis REGALEE. Que ça fait du bien, On a tous connus dans nos campagnes des Mo-Mo, Dédé ou Fifine alors forcément, ce n'est que du bonheur cette lecture!<br /> <br /> Le patois n'est pas facile à lire, alors, je l'imagine prononcé...<br /> <br /> <br /> <br /> Merci pour ce moment de relaxation dont j'avais besoin :-)
A
Livre "Dernières nouvelles du Morvan " commandé .Mais il n'en restait qu'un neuf chez Chapître .A voir ! Vous avez du succés les Morvandiaux!
A
Merci Francis .Je vais voir .Mais ne te presse pas .C'est trés gentil de ta part .J'essaierais de photocopier ce qui me plaira cad tout .Regardé à la médiathèque de ma ville ( caralogue sur le net ) .Il n'y est pas .<br /> <br /> Je regarde ton livre conseillé ." Chic si " Le temps dure arrive " .Tu dois connaître aussi l'expression " Le temps me dure "<br /> <br /> Moi , je vais attaquer : " filet de boeuf , pommes de terre et truffe "avant " La terrine de foie gras " <br /> <br /> Bon dimanche !
En balade, né au vent
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Henri VINCENOT
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