De cols en crêtes
Dès le petit matin, le soleil est au rendez-vous. La réalisation de l'envie de grande balade à bicyclette est donc possible aujourd'hui.
Vous aurez compris à la lecture d'articles ici et chez mes camarades promeneurs à vélo, notre sensibilité aux conditions météorologiques. La pluie, le vent ("et la neige mêlée" dit la chanson) sont les plus redoutés. Plus que la côte dont on peut prévoir l'issue géographique et approximativement l'heure du terme de l'ascension, pas de carte ni de programmation aussi précise du vent et de la pluie. Ils ne préviennent ni l'un ni l'autre de leur intention de cesser d'éprouver notre résistance. Quand les deux s'emmêlent en giboulées, les voici comme chats cruels s'amusant d'un souriceau : coups de griffes, bourrasques, morsures de crocs, de l'eau à plein seaux, courses poursuites vent arrière, semblants d'abandons, répits illusoires, il faut en sortir soit par l'épuisement des éléments, soit par le refuge du traqué.
Les blousons imperméables et respirants fort coûteux ne protègent pas le moral du cyclo peu étanche à la pluie, ni même son corps vite mouillé par dehors, par dedans, par dessous, par côtés, partout. En dernier recours à tort, on déploie la bonne vieille cape de pluie moins onéreuse et plus efficace, mais si facétieuse ! Celle-ci peut se transformer au gré des éléments en spinnaker, en frein-parachute, en cloche-sauna, ou bien encore en outre. Outre remplie d'eau de pluie là devant, dans le creux du vent juste entre les deux bras, la cape présente alors l'intérêt d'être lestée. En effet, il ne lui est plus possible comme elle sait fort bien le faire, au croisement d'un poids lourd par exemple, de se rabattre violemment sur le visage de son occupant, ensachant le pilote aveuglé dans un cercueil homomobile fou, rouge, jaune ou bleu ! Vous qui avez apprécié le sketch du "K-way" de notre humoriste du Nord-Pas de Calais, imaginez le même en plein vent, en plein effort physique, et vous aurez un portrait complet de la cape de pluie.
Eprouvé de pluies sous toutes ses formes, Philippe devient tellement expert en matière de pluie, qu'il en invente des verbes : le modeste pleufiner qui s'oppose à pleuverser eauffensiver déluger plutromber ou encore druverser à réserver aux moments les plus éprouvants...
Rouler par grand vent sans pluie est bien moins périlleux. Il suffit de ruser en tirant des bords quand l'orientation de la route est favorable, et, vent debout, de s'économiser en prenant son mal en patience sans forcer sur les genoux.
Représente-toi bien toi l'automobiliste abrité qui lit ces lignes, ce que peut éprouver par mauvais temps le cycliste que tu "peines" à dépasser !
Ceci dit, aujourd'hui, il fait beau !
Le COL DE L'ASCLIER le plus haut du secteur avec sa petite route de traits interrompus rouges à "passages difficiles ou dangereux" sera mon objectif du jour :
Saint Hippolyte du Fort - Col du Rédarès - Lasalle - Col du Mercou ~ L'Estréchure - Milliérines - Col de l'Asclier - Col de Bès - Col de la Triballe - Saint Martial - Sanissac - Sumène - Ganges - Moulès et Baucel - La Cadière et Cambo - Saint Hippolyte du Fort.
Plus on monte, plus les cours d'eau sont bien fournis des pluies récentes, notamment ceux des versants nords plus arrosés. D'abord c'est le clapotis qu'on perçoit de loin, puis le virage et son pont qui se dévoilent au regard, enfin, arrivant à sa hauteur, c'est la fraîcheur du ruisseau ressentie sur les bras nus.
Les ascensions du jour seront joliment sonorisées et rafraichies de nombreuses chutes, cascades, sources et fontaines. Au COL DU MERCOU, souffle coupé par le courant d'air et par le panorama de la fenêtre ouverte sur VALLEE OBSCURE, c'est l'heure et l'endroit rêvés pour la pause casse-croûte à l'abri du vent de col, face aux paysages terrestres et célestes animés.
Le paysage céleste qui s'anime petit à petit de l'arrivée de nuages sombres menaçants, suggère la levée prématurée du camp casse-croûte : même pas une toute petite sieste ? Juste une toute petite ?... même pas !
En fond de vallée, après la descente aux virages bien taillés, un ciel partagé ensoleillé à l'orient est bien plus inquiétant à l'occident.
L'ascension du COL DE L'ASCLIER débute sous un beau printemps de châtaigniers en plein travail de feuillaison. C'est un chemin à remonter petit à petit les saisons que j'emprunte. Il conduira mètre à mètre aux portes de l'hiver précédent.
La route étroite ne permet pas le croisement de deux véhicules ; ajoutons à cela quelques virages serrés au bord de ravins non protégés, et voici probablement les raisons du classement "difficile ou dangereuse".
A moi, elle s'offre "plaisante et magnifique", sans aucun doute l'une des plus belles et sauvages ascensions de col à mon actif aujourd'hui.
Alors qu'on s'attendrait à voir l'habitat se raréfier avec l'altitude, les quelques maisons isolées de la première partie de l'ascension conduisent à passer le pont sous le hameau de L'ABRIC, puis à mi pente, à traverser le petit village de MILLIERINES. Le facteur y distribue, pour combien de temps encore, le courrier de quelques rares demeures habitées au milieu des maisons de famille volets clos. Pas du tout dérangé par la circulation sur la route de l'ASCLIER, il faut cependant ralentir et serrer à droite, voire s'arrêter, pour laisser le passage à la fourgonnette jaune. Au delà de MILLIERINES, plus trace d'habitat.
Parti du vrai printemps en fond de vallée, me voici déboucher en automne dans la TRANCHEE, véritable petit col qui saute la crête et passe sur l'autre versant, en transit vers l'ASCLIER. Les châtaigniers le disputent aux hêtres, mêlant leurs feuillages en grande partie tombés cet hiver.
Le dernier kilomètre, une fois passé le carrefour de la route des PLANTIERS, parait une éternité : quasi hiver végétal, fatigue, pente ? Le passage du col se fait très précisément sous un tunnel pour les véhicules, croisement entre la voie routière du COL DE L'ASCLIER et l'une des grandes drailles de transhumance des troupeaux de moutons.
Au dessus du tunnel passe le chemin des troupeaux qui conduit des garrigues de SAINT HIPPOLYTE DU FORT aux étendues herbeuses de la montagne de la MARGERIDE en LOZERE, par FLORAC et MENDE. Aujourd'hui ces voies pastorales fourmillent de sentiers de randonnée pédestre ou vélo tout terrain.
La longue descente du COL DE L'ASCLIER cascade en sautant d'un versant à l'autre par les deux COLS DE BES et DE LA TRIBALLE, vous jetant enivré de vent de virages au bord du village de SAINT MARTIAL sur son piton-corniche dominant le RIEUTORD naissant.
C'est ici le retour des grandes terrasses propres, entretenues, exploitées, une fois passée la montagne aux flancs escarpés et boisés.
D'autres terrasses sauvages, abandonnées aux prairies ou aux friches, attendent patiemment leur courageux retour en grâce. La descente se poursuit plus calme, conduisant à SUMENE où déjà le RIEUTORD ne présente qu'un lit sec de galets, puis à GANGES. La montagne cévenole s'amollit ici ; la route de GANGES à SAINT HIPPOLYTE DU FORT n'aura plus que quelques ressauts à franchir.
Je referme provisoirement jeudi 3 mai cette porte entrouverte sur les CEVENNES avant une dernière visite "au désert" sur la route du retour demain. Toutes ces magnaneries effleurées et le travail de la soie me restent mystérieux... aux côtés de tant d'autres choses restant à découvrir dans l'archipel de terroirs variés que constitue la région cévenole.
F6 - mai 2012