Avance sur printemps
Monsieur le Grand Ordonnateur des Saisons,
l'hiver a assez duré. Suffisamment long, froid et humide pour que mon dos et mes articulations réclament les bienfaits du rayonnement solaire, pour que mes pensées soient éclairées de luminosité naturelle, pour que des projets plus gais renaissent...,
... j'ai l'honneur de solliciter de votre bienveillance l'arrivée du printemps.
Quelques signes ou même une petite avance, seront, soyez-en assuré, bien utilisés.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Grand Ordonateur des Saisons, l'expression de mes sentiments respectueux.
Ainsi pourrai-je réitérer encore quelques semaines cette requête impatiente, mais déjà exaucée dimanche 23 janvier pour un grand tour au fond et sur les crêtes de la vallée du Rhoin.
Grimper la combe Portaut, passer sous la Roche Percée, longer le plateau, redescendre sur BOUILLAND, cheminer à travers les prés gorgés d'eau jusqu'à la source du Rhoin à proximité du Trou de la Grande Dore au nom mystérieux : voilà le trajet vers mon objectif.
Le retour ne peut, ni ne veut faire l'économie de la remontée sur le plateau opposé pour redescendre la Combe à la Vieille après avoir longé quelques kilomètres de falaises vertigineuses. Balade bien montagneuse sous un soleil printanier, les passereaux, mésanges et troglodytes qui ont tous co-signé la même requête profitent largement de la belle journée. Ils s'éveillent et m'accompagnent en pépiant un brin de chemin. Mais les températures restent bien hivernales !
La Roche percée
(légende)
Le géologue voit l'effet d'un cataclysme
Dans ces rocs perforés par les eaux du ravin,
L'humoriste à travers le mirage du prisme,
Le merveilleux travail d'un nocturne lutin.
¤
L'antiquaire érudit rêvant de druidisme,
Quelque dolmen celtique ou tumulus romain ;
Le poète emporté sur l'aile du lyrisme
Recueille avec amour le miracle divin.
¤
Le légendaire écrit d'un pieux cénobite,
Affirme que Gaston poursuivait Marguerite
Simple fille des Champs, pure comme les fleurs.
¤
O prodige !... le mont s'ouvre et livre passage
A la naïve enfant qu'allait ravir le page !
- Marie avait béni sa prière et ses pleurs !
¤¤¤¤¤
Ce sonnet et le suivant sont extraits de l'ouvrage rare et peu connu publié en 1857 : "Le collier de perles", "Sonnets - Paysages, tableaux, impressions, légendes" du poète Joseph PETASSE.
Joseph PETASSE à l'origine compagnon horloger, après une courte mais remarquée carrière d'économe des Hospices civils de Beaune se retire en 1851 à Sainte Marguerite, là, quelques centaines de mètres au dessus du débouché de la Roche percée.
La propriété est aujourd'hui fort bien et discrètement rénovée, dominant et embrassant de son point de vue l'Abbaye Sainte Marguerite, le hameau de La Forge du village de Bouilland, les Roches du Châtelet, puis un peu au delà la Combe à la Vieille.
Vue d'en face, depuis les Roches du Châtelet
au centre à gauche de la brindille la propriété de Joseph Pétasse, à droite l'Abbaye Sainte Marguerite
Combe Portaut et Roche percée dans le sillon entre ombre et lumière
La Bourgogne et plus particulièrement Beaune doit une fière chandelle à Joseph PETASSE. A la fin des années 1840, période troublée évoquée ici dans Le Veigneron et alors que tant de pièces de vins invendues vieillissent à l'abri des caves des Hospices de Beaune, Joseph l'économe s'invente avant l'heure un métier de "Vendeur Représentant Prospecteur".
Il sillonnera les pays européens voisins : Pays Bas, Allemagne, Belgique, Suisse et vendra la totalité des 953 pièces encore stockées. De retour en 1851 il déclare aux administrateurs des hospices :
"Messieurs, vous pouvez reprendre dès cette année la vente aux enchères publiques. Il est désormais inutile de nous déranger : la clientèle est faite, nos vins sont connus et ce sont maintenant les amateurs qui viendront à nous."
Cette même année 1851, probablement avec le sentiment d'un devoir accompli, et des revenus suffisants pour une "retraite à 48 ans", il s'installe poète, là-haut, au dessus de Bouilland.
La vente aux enchères des vins des Hospices de Beaune prendra alors à partir de 1859 la forme qu'on lui connaît aujourd'hui et sa périodicité annuelle. A lire son ouvrage cité ci-dessus, on peut être certain que Joseph PETASSE a su mettre de la poésie dans le verbe vantant le vin des hospices. Si son portrait ne laisse pas entrevoir un joyeux drille, sait-on jamais, il a acquis la réputation de "sauveur culotté" de la vente des vins.
Alors que la maison de Joseph s'offre tout naturellement et gentiment au randonneur de passage qui en traverse sans entrave la propriété, le voisin de Sainte Marguerite est bien barricadé.
Les panneaux contradictoires se côtoient et l'accès autrefois libre aux ruines de l'abbaye n'est plus possible. Quand à l'invitation, elle m'est fort peu séduisante.
"Pourquoi continuer à regarder par ce trou, les portes vous sont ouvertes", certes..., moyennant 7 €.
Autrefois ni porte, ni trou de serrure, ni grillage, nous pique-niquions ici dans le pré à l'ombre des ruines, librement et joyeusement.
Aujourd'hui, Monsieur, grillagé barbelé clos et crocs dans le domaine qu'il a racheté en 2000, vend une promenade "L'histoire et la bière". Il informait sur son site vouloir organiser des randonnées pédestres dans le massif forestier voisin.
Nous ne l'avons pas attendu et s'il s'avise d'interdire ou de réglementer l'accès aux sentiers...
Pour l'heure et pour longtemps encore contentons-nous de passer notre oeil nostalgique du lieu public de promenades dominicales au travers de la clôture et de la végétation. Contentons-nous de rêver encore un peu plus aux temps reculés, à cette abbaye isolée, vaisseau fantôme émergeant d'une marée de ronces.
Le sentier étroit qui descend sur Bouilland est aujourd'hui élargi et creusé d'ornières. Pourvu qu'il ne s'agisse là que de travaux forestiers et pas de voie d'accès pour véhicules tout terrain à un domaine de chasse.
J'y vais ? J'y vais pas ? J'y vais...
Je t'aime ! Moi non plus !
Gros dodo sous la boite de conserve qui coiffe le piquet
Accélérateur à nuages ou aspirateur à saisons ?
Plus on approche de Bouilland, plus l'eau sourd de nulle part et de partout. Celle-ci dépose aujourd'hui pellicule de glace, et de tous temps calcaire pétrifiant.
Bien que très proche, le Trou de la Grande Dore, n'est pas le lieu de résurgence du Rhoin mais une cavité de 370 m à l'accès périlleux, réservée aux spéléologues. Après avoir marché hors sentiers dans les prairies gorgées d'eau glacée, je trouverai l'une des sources proche du pied de cette roche éperon imposante.
L'éclat de glace des grandes orgues éphémères et silencieuses donnant naissance au Rhoin récompensera généreusement le promeneur fureteur. L'endroit est escarpé et dangereux, secret, à l'écart des chemins.
La Combe à la Vieille
(légende)
Jadis un vieux castel dominait ces collines
Où corbeaux et grands-ducs ont fixé leur séjour ;
Le châtelain félon qui vivait de rapines,
Répandait la terreur aux pays d'alentours.
¤
Les anges ont détruit de leurs ailes divines
Ce nid de mécréant, cette aire de vautour
Dont la vieille sorcière habite les ruines,
Où le diable aujourd'hui convoque encore sa cour.
¤
A minuit !... A Noël !... à qui lui vend son âme,
Le Démon apparaît, brillant comme la flamme,
Et lui donne en retour volupté et trésors.
¤
Fuyez, en vous signant, cette roche empestée !...
Votre âme, que du Christ le sang a rachetée,
Vaut bien mieux qu'un bonheur troublé par le remords !
¤¤¤¤¤
Roche du Châtelet et Combe à la Vieille forment une presqu'île rocheuse magique d'où l'on domine le village.
Il ne reste rien des ruines du château occupées ensuite selon la légende par une vieille sorcière. Paradis pour randonneurs, varappeurs, photographes, aquarelistes et rapaces... bienheureux les campeurs s'endormant ici contemplant le coucher de soleil !
Par tous les pores de la peau,
avant de refermer cette avance sur printemps,
je m'emplis de soleil du plateau.
¤
L'ombre trop tôt là,
dans la descente de la combe,
à l'hiver te rappelle déjà
Marguerite simple fille des champs.
Merci Monsieur le Grand Ordonnateur des Saisons pour cette journée du 23 janvier 2011.
Merci Joseph pour avoir su chanter les charmes de nos contrées avec les mots de ton siècle. A bientôt à Clavoillon ou Crépey, avec ta fillette si tôt disparue.
Sachons préserver tes paysages, perpétuer ton ardeur au travail, suivre ton regard empreint de gentillesse et de simplicité.
F6 - janvier 2011, repris en janvier 2014