De ses propres ailes...
Comptant sur la portance des ailes qu'il avait construites avec un sac poubelle, l'enfant se jeta dans le vide du haut de la pile de bois. A 4 ans, voulait-il se distinguer d'un frère aîné de quelques années, fabriquant de snowboard en carton d'emballage ? Rejouait-il une scène d'un dessin-animé précis ? Montrait-il déjà un intérêt particulier pour l'apesanteur et le vol ? L'avait-on lancé en l'air bébé ?... Instantanément, comme par réflexe de survie, il sentit le vent tourner et le choc imminent. Avait-il prévu cette sécurité dès la conception de son projet ou bien s'était-elle trouvée là "par hasard" ? Toujours est-il que l'enfant sut se raccrocher aux fils à linge à temps et amortir la rude rencontre avec le sol.
Ainsi le soir au papa, raconta-t-on l'aventure qui se termina sans dégâts, mis à part pour l'étendage.
Quelques années de tranquille croissance plus tard, très précisément à l'âge de huit ans alors que déjà des revendications préadolescentes d'autonomie et de liberté pointaient, à la fin de longues vacances qui atterriraient prochainement brutalement sur la rentrée scolaire, il fut décidé de s'y préparer. Pour cela et pour la dernière semaine d'août, le père partirait en vacances avec son fils.
Ile d'Oléron, plage des Huttes - premier cerf-volant maison (modèle sled), simple et efficace - 8 ans
Pas n'importe quelles vacances ; des vacances au cadre convenu, imposé mais facilement accepté, conçues de la sorte :
- un lieu agréable que l'enfant ne connaissait pas, tout au moins la première année, déserté par la foule des touristes : l'île d'Oléron,
- un effectif minimaliste : père et fils,
- des conditions d'hébergement de plein air simples mais confortables : le camping municipal de LA COTINIERE quasiment désert,
- un programme de vie quotidienne saine : lever un peu après le soleil, coucher si possible peu de temps après le soleil, brosse à dents et gant de toilette le matin, shampoing et douche en fin d'après-midi, repas à heure fixe, chauds le soir,
- un emploi du temps chaque jour identique : matin travail scolaire, récréation, travail scolaire / repas au camping sous la pinède / après-midi plage, châteaux de sable, baignade, cerf-volant, lecture, baignade, cerf-volant, baignade, lecture, château de sable, plage, plage, plage, cerf-volant / retour au camping, douche / repas, vaisselle / soirée flanée.
Ile d'Oléron, plage des Huttes - 12 ans, premiers vols du "Révolution"
Dans cette organisation fixe et souple, les occasions de menus plaisirs, de surprises et de rencontres sont multiples :
- les gentils papys-mamies qui viennent après l'été ranger les 3 ou 4 vieilles caravanes qu'ils ont louées aux estivants,
- l'agriculteur faisant le tour des campings avec la Renault 4 fourgonnette remplie de ses derniers melons qu'il vend en lot pour presque rien,
- à la récré aller acheter un pain au chocolat à l'épicerie de l'autre côté de la route,
- les deux ou trois africains que le gérant du camping nomme tous Mamadou et qui vendent d'étranges petits singes "n'golo-n'golo",
- l'artiste de nuit peignant des tableaux électro-féériques devant la foule des derniers touristes ébahis au port de LA COTINIERE,
- la douche qui dure, dure, dure...
Calcul ou conjugaison ? - 8 ans
Le travail scolaire est simple et va à un essentiel concerté préalablement entre les parents. Inutile d'évaluer, et surtout, surtout, ne pas aller au conflit : "Tu ne sais pas, tu ne te souviens plus, alors demande, écoute, regarde ; je fais...". Au gré des exercices, souvent des notions vagues reprennent gentiment leur place dans le puzzle de savoirs considérés acquis.
"... la force du vent vivant dans le creux de l'index replié..." - 8 ans
Mais le plaisir d'entre tous les plaisirs, loin devant les châteaux de sable et les baignades, devant même le large choix des parfums de glaces du Tamarin ; le plaisir de ces vacances si particulières sera celui du jeu de l'air, du pilotage au doigt et à l'oeil, celui de la sensation de la force du vent vivant dans le creux des index repliés sur les lignes des cerfs-volants, celui des courbes géométriques et des figures périlleuses dont on sort vainqueur, fier et grandi sous les yeux de promeneurs envieux.
Ile d'Oléron, plage des Huttes - 14 ans, toujours le "Révolution"
L'enfant né en août dispose toujours de quelque argent récent, cadeau de grands-parents, d'oncles et de tantes. Partis la première année avec un cerf-volant "fait-maison" en film plastique, simple et à une seule ligne, le modèle "sled" que le père apprend à l'école et en centre de vacances, l'un ou l'autre, tous deux eurent vite envie d'essayer plus compliqué. L'argent de l'enfant complété de celui du père permit l'acquisition d'engins plus perfectionnés, ou très différents. D'une seule ligne on passa à deux pour s'initier au pilotage de "deltas" aux armatures de fibre de verre puis de carbone. On explora alors bien plus complètement la fenêtre de vent de haut en bas, de gauche à droite et un beau jour, je ne sais plus qui du fils ou du père réussit la première rotation de 360°. Arriva ensuite l'époque des ailes à caisson sans armature. Rêvant toujours de "transport aérien", c'est l'enfant et lui seul qui acheta la première aile de traction censée le traîner sur la plage ou dans l'herbe, voire même, le faire décoller ! Les dernières de ces neuf années, père et fils en resteront à la révolution du cerf-volant à 4 lignes, celui qui s'arrête et se pose où l'on veut, dans la position que l'on veut, celui qui vole sur le dos et danse d'un pied sur l'autre... en un mot, le bien-nommé "Révolution".
Ile d'Oléron, plage des Huttes - 14 ans, toujours le "Révolution"
Le dernier jour de ces vacances particulières est rigoureusement identique aux précédents, jusqu'à la douche seulement. Une fois longuement rincés, sacs et coffres rangés, comme une dernière aventure encore remplie de menus plaisirs, on traverse la France de nuit. L'enfant veille le plus longtemps possible assis à la place du passager, entretenant la vigilance du conducteur en conversant cerfs-volants, école ou collège, projets pour l'année prochaine, cerfs-volants. A la nuit noire arrive le moment où, la tête dodelinant, il est temps d'aller dormir à l'arrière dans la couchette du petit fourgon.
"On the road again" - 8 ans
Dormir en roulant, rouler en dormant, à l'aller, au retour, rêver de plage et de cerfs-volants, rouler en rêvant... Le père somnolera quelques heures plus tard sur un parking, au coeur de la nuit. L'enfant sera livré endormi au petit matin à sa maman endormie, avec une Galette charentaise pour le petit déjeuner, du Pineau des Charentes pour la famille, un nouveau cerf-volant et tant de choses à déplier et raconter.
Ile d'Oléron, plage des Huttes - 14 ans, toujours le "Révolution"
La formule "Des vacances jusqu'au bout du bout légal, oui, mais pas seulement la tête dans le sable" s'est avérée efficace : l'enfant a bien dû faire quelques rentrées scolaires avec un peu de sable derrière les oreilles, un coquillage ou deux dans la poche, et des rêves plein la tête, mais aussi des tables de multiplication, des mécanismes opératoires et des notions de grammaire un peu plus disponibles...
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BOURG-SAINT-MAURICE, station des ARCS, sommet de la piste "Cachette", août 2015. L'enfant est là, chez lui, grandi, pilote expérimenté au milieu d'amis passionnés et de fils qui pour lui ne sont pas emmêlés.
Le père et la mère sont là, pour la première fois sur le terrain, observant émerveillés et émus ce qu'on leur a tant raconté et qui les a tout de même un peu inquiétés.
Décollage et atterissage propres...
MVI 6186
... comme à l'école, avec juste une petite frayeur simulée.
Père et mère restent à terre, rassurés.
Maintenant, c'est sûr...
leur lapin vole de ses propres ailes, parfois même à l'envers, mais ça, c'est une autre histoire !
©F6
août 2015
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