Pas si seul
Déjà bien gâté en 2015, il me manquait tout de même de voir l'automne avancer plus encore, colorant les paysages comme un été fatigué tirant une ultime révérence. L'affaire semble bien engagée, il ne reste qu'à croiser les doigts pour que la météo soit favorable dans les deux prochaines semaines.
1- Hameau du Saut - Tignes en face (voir article récent "En réserve")
La neige, tombée les jours derniers en tempête, est en grande partie fondue grâce à de douces journées. Le Col de l'Iseran à 2700 mètres, fermé le 18 octobre jour de mon arrivée, est à nouveau ouvert le lendemain. Mon choix de première balade se porte une fois de plus, deux et quatre mois plus tard, sur la Réserve naturelle de la Grande Sassière.
2- Premier lac de retenue au débouché du vallon - L'aiguille de la Grande Sassière dans les nuages et en reflets
Je suis seul aujourd'hui au départ, encore plus seul que le 28 juin et le 28 août. Les touristes d'été ne sont plus là, les touristes d'hiver ne le sont pas encore. La route est verglacée aux endroits ombragés et humides, rien de bien méchant pour le moment. Mais brutalement, du jour au lendemain et pour de longues semaines, la Réserve redeviendra un grand désert humain livré au sommeil des Marmottes, à la survie des grands mammifères.
Petit à petit, les réserves d'eau se reconstituent, offrant aux paysages le miroir éclairé de soleil rasant, juste avant le grand blanc.
3- Ferme d'alpage volets clos - Ruisseau de la Sassière bien en eau - Pâturages hâlés
Question couleurs, les Épilobes contribuent encore, mais aux flaques rose tyrien des hampes florales, ont succédé tiges et feuillages brun roux. Les couvertures buissonnantes des Myrtilles jettent du rouge franc, çà et là dans les pentes couvertes d'herbe bronzée d'avoir reçu tant de soleil. A cette saison, l'alpage prend la couleur du pelage des chamois, des renards et des bouquetins... pour mieux les camoufler aux chasseurs ? Précaution ici inutile : dans les Parcs et les Réserves, la chasse n'a pas droit de tirer. Lentement, dizaines d'années après dizaines d'années, le grand gibier et la petite faune tolèrent aujourd'hui bien mieux qu'autrefois les intrusions humaines dans leurs domaines.
4- Lac de la Sassière - vue sur la Pointe de la Bailleta et l'Aiguille du Dôme
Poursuivant ma balade en amont du lac de la Sassière pour grimper au plus près du Glacier de Rhêmes-Golette, j'observe à environ 150 mètres deux Chamois broutant paisiblement sur les rives caillouteuses du ruisseau, quand une forme bondissante, jusque là invisible, donne l'alerte. Serait-ce un autre Chamois plus vigilant qui redresse ainsi les têtes de ses congénères brouteurs ?
5- "Derrière le Santel" - deux Chamois broutant et ? invisible, tapis derrière un bourrelet herbeux
Les Chamois prennent la fuite et la forme bondissante se précise. Poil et queue touffus, moins haut sur pattes, c'est bien le Renard. Quels liens, quelles opportunités, réunissent à ce moment des animaux d'espèces si différentes, au point qu'ils soient si proches ? Si Renard ferait sans doute bombance de bonne chair de Chamois, il n'est pas de taille à les chasser. Quant aux caprins, ils sont exclusivement végétariens...
Alors, cohabitation de hasard ou stratégie opportuniste ?
Ce qui semble tout de même faire l'unanimité entre ces deux espèces, serait un reste de prudente crainte à l'égard de l'homme.
6- Renard fuyant en bas à gauche, 2 Chamois en haut à droite
Simple reste de prudente crainte, car elle ne conduit pas les trois compères à une fuite effrénée hors de portée de possibles fusils de chasse ; non, ils s'écartent tout bonnement, furetant et broutant à droite, à gauche, disparaissant derrière un rocher, réapparaissant sur un talus.
7- Renard de face observateur en bas à gauche, 2 Chamois à l'arrêt en haut à droite
Tandis que la couleur des uns les rend quasiment invisibles sur fond rocheux, celle de l'autre le confond avec les touffes d'herbes. Les uns et les autres se détachent sur le blanc de la neige, plus sûrement encore quand ils y sont en mouvement.
Quatre, peut-être bien cinq ou six, je ne sais pas exactement combien d'individus composaient la petite harde de Chamois peuplant cet après-midi là l'éboulis "Derrière le Santel" à 2500 mètres. Mes deux Chamois "du ruisseau" en ont rejoint, croisé quelques autres plus haut sur le coteau, toujours accompagnés de Renard.
8- Renard plongeant dans la neige (mulotant) en bas à gauche - Chamois en haut à droite
Maintenant plus éloignés de moi de quelques centaines de mètres, les Chamois vont et viennent dans un sens et dans l'autre, Renard au centre du groupe de cinq ou six, m'offrant le spectacle étonnant de son mulotage.
9- Renard à droite au centre - 2 Chamois en haut, 1 en bas à gauche...
Renard a un régime alimentaire extrêmement varié, plutôt carnivore et nécrophage, végétarien par nécessité. J'en viens à penser que cette cohabitation qui pourrait également offrir le sujet d'un conte animalier, ne peut être qu'opportunisme alimentaire : en piétinant et broutant, les Chamois dérangent insectes et rongeurs que Renard traque, chasse, et dont il se nourrit.
10- Premiers flancs neigeux à gauche de la pointe du Lac, "Derrière le Santel", théâtre des observations - Panorama "de rêve"
Quittant le vallon, le sentier s'élève brusquement sur le flanc plus ensoleillé franchissant ruisseaux et contournant barres rocheuses. Sur l'une d'elle, le Bouquetin sentinelle dans sa position d'observation habituelle, jette de temps à autre un regard sur moi.
11 et 12- Bouquetin traditionnel en position d'observation habituelle
Paisible serait bien l'adjectif qui le qualifie le mieux : ce Bouquetin majestueusement encorné, restera là sans changer de place tout au long de ma lente ascension, et ne bougera pas plus aux sinistres craquements des stalactites de glace fondant, s'effondrant au-dessous de lui.
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Je monte lentement. Lentement parce qu'il fait froid, lentement parce que l'altitude et la pente raccourcissent le souffle, lentement parce que bien des passages abrités et pentus sont enneigés, et lentement parce que, au débouché du sentier sur le moindre replat, je m'attends à découvrir la harde de Bouquetins dont le grand mâle serait le gardien.
13 et 14- Chamois en familles, femelles et chevreaux
Déçu une fois encore, mais aussi largement récompensé, ce n'est pas une harde de Bouquetins que je surprends à droite du sentier mais deux femelles Chamois accompagnées de leurs chevreaux du printemps 2016, ainsi que de leurs éterles ou éterlous de l'année 2015.
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Observés à environ 2700 mètres d'altitude, donc plus haut que les "copains du Renard" photographiés à 2520 mètres, les femelles et jeunes du haut pourraient bien faire partie de la même harde que les jeunes mâles du bas.
15 - Glacier de Rhêmes-Golette à 3100 m, encadré à gauche par la Pointe Traversière (3338 m), à droite par la Pointe de la Golette (3256 m)
Parvenu au point de retour de ma balade, à l'abri du vent je prends le temps de contempler le petit Glacier de Rhêmes-Golette. Accroché à seulement 3100 mètres d'altitude, combien d'années lui reste-t-il encore avant de céder la place à un paysage lunaire d'éboulis et de moraines, puis à l'arrivée d'une végétation ?
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"Pas si seul" aujourd'hui dans la Réserve naturelle de la Grande Sassière, Adrien et Edwige ne l'étaient pas non plus il y a quelques jours. Renard était là, déjà là, et bien plus là, au point que l'idée même de "simple reste de prudente crainte à l'égard de l'homme" ne devienne fausse !
16, 17 et 18- Renard au bord du Lac de la Sassière le 10 octobre 2016 - Photos Adrien et Edwige
Assoupis au soleil après le pique-nique il y a quelques jours sur les rives du Lac de la Sassière, les jeunes ont eu la surprise d'être réveillés, la main reniflée par un museau tout frais.
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Etrange, inhabituelle proximité presque inquiétante... "Sensation étrange sur la main, je me lève brusquement, pas farouche, il est resté à un mètre de moi pendant pas mal de temps" dit Adrien.
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"C'était magique, il ne s'est pas laissé approcher, c'est lui qui est venu à nous. Il est resté un moment très proche, puis il est parti tranquillement. Je l'ai suivi et approché pendant qu'il furetait, il m'a contourné à moins de deux mètres. Peut-être était-il habitué à voir du monde ? à être nourri ? " dit Edwige.
Renard ne craint pas plus Adrien et Edwige que Chamois et Bouquetins !
10 jours après l'aventure des jeunes, parti seul, je comptais bien revoir "leur copain Renard". Je reviens comblé de rencontres, d'autant que Renard (n°1) s'était laissé observer de très loin sur le chemin "carrossable" entre les deux lacs, avant que Renard (n°2) ne m'offre le spectacle du mulotage plus haut dans la neige. Tous deux voisinent en bonne intelligence avec Chamois et Bouquetins, ignorés, mais peut-être pas tant que cela par la multitude de Marmottes de la Sassière assoupies dans leur tout premier sommeil.
L'hiver, ses longues nuits, ses intempéries et son silence ouaté approchent. Alors qu'en face à TIGNES les fêtes résonneront et les feux d'artifices exploseront de lumières, ici, au balcon de la Sassière, on s'organisera, on résistera pour survivre, seulement, tout simplement.
© F6
23 octobre 2016
NB : En cliquant sur chaque photo celle-ci s'ouvre bien plus nette dans une nouvelle fenêtre. En bas à gauche, deux flèches permettent de faire défiler toutes les illustrations de la publication.
A savourer : "La tragique aventure de Goupil" (version gratuite canadienne de l'ouvrage de Louis PERGAUD)
Pour en savoir plus (notamment régime alimentaire) un article de qualité chez Wikipédia :
Le Renard roux a un corps allongé avec des membres relativement courts par rapport à sa taille. Sa queue, qui est plus longue que la moitié de son corps (elle représente généralement 70 % de la taille de son corps), est longue, duveteuse et touche le sol lorsqu'il est debout.
https://fr.wikipedia.org
Et ici, si le coeur vous en dit, Le seigneur de Corcelotte
Autrefois, une armée de cantonniers qu'on suspectait de n'être que fainéants, passait et repassait plusieurs fois par an sur chaque kilomètre de la moindre petite route. Les fossés étaient curés, les buses débouchées, les accotements fauchés, les branches basses taillées proprement, les murets remontés...
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