CHAGNY : Octagon for Saint Eloi, de l'art, et du lourd !
Pauline et Marie-Jeanne savaient, mais elles ont su aussi tenir leur langue et ne rien dévoiler.
Hélène, et son homme m'ont épaté qui, sans avoir la moindre idée au départ, ont trouvé l'auteur du truc et avancé une théorie des nombres ; peut-être même ont-ils localisé le machin !?
Si...
... et que ceci n'est pas un urinoir...
... alors ce machin est encore moins une pissotière, un container à verre, pas plus un chaudron à cancoillotte, ni même l'embase du sapin de noël municipal ; ce n'est pas un oeuf, en tout cas pas celui du Titanic ni celui d'un char Leclerc ; ce n'est pas plus un nichoir à roitelet qu'un petit appartement F1 pour famille d'autruches (et ce n'est pas là-dessus juché que je harangue la foule des bourguignons réclamant l'annexion de la Bourgogne transjurane comme le suggère Nicole)...
Tadam ! voici :
"Octagon for Saint Eloi"
Octagon trône à CHAGNY (71150) au centre d’une place publique. Une plaque commémorative, à défaut de vouloir en expliquer la raison d'être ici et ainsi, le décrira techniquement tout en le signant de son auteur.
Sur le site de la ville de CHAGNY, on trouvera quelques compléments d'explications ou de justifications : "Il est posé sur la place de l'église Saint Martin. "Tout est défini en fonction du site", dit Serra. Ainsi "L'Octagon" est-il placé dans l'axe de l'église à 13 mètres du porche de l'église, lui-même à 13 mètres de l'autel (13 étant un nombre symbolique). La sculpture est décentrée par rapport à la place, dans l'axe d'une croix de pierre située sur l'un de ses côtés.
L'œuvre est en osmose avec le site : sa forme octogonale évoque celle des baptistères, ses formes pures répondent à celles de l'église, à l'austérité cistercienne et la couleur rouille de l'acier rappelle celle des toits."
Bien plus qu'à quelques oeuvres d'art contemporain, la réputation de CHAGNY tient toujours à sa tuilerie, son restaurant étoilé, sa gare modeste noeud ferroviaire, le coude que fait le canal du Centre reliant la Saône à la Loire, sa voie cyclable, son jambon persillé et son vin blanc aligoté de Bouzeron.
Mais comment donc "Octagon for Saint Eloi" a-t-il pu être conçu et financé pour la petite ville de CHAGNY ?
Avant 1991 année d'installation d'Octagon, CHAGNY avait eu pour maire de 1977 à 1989 Monsieur D.M. dont le dictionnaire "Who's who", bien que certains points semblent à vérifier plus sérieusement, rapporte : "Elève à l´Ecole nationale d´administration (Ena - promotion Montesquieu, 1964-66), Auditeur de 2ème classe (1966) puis de 1ère classe (1967) au Conseil d´Etat, affecté au centre de documentation (1968) puis aux sections contentieux et travaux publics du Conseil d´Etat, Maître des requêtes (1973-82), Secrétaire général de la mission laïque française (1975-83), Membre du haut-comité de la langue française (1977-83), Maire de Chagny (1977-93), Chargé de mission auprès d´André Chandernagor, Ministre délégué auprès du ministre des Relations extérieures chargé des questions européennes (1981-83), Conseiller référendaire à la Cour des comptes (1983), Président de la Chambre régionale des comptes de Franche-Comté (1983-89), Conseiller maître à la Cour des comptes (depuis 1990), Président du conseil d'administration de l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts (1992-2004), Administrateur de Radio-France Outre-Mer (1992-93), Président de la Fondation Hans Hartung et Anna-Eva Bergman (depuis 1995)".
L'entregent de Monsieur D.M. aurait-il servi à attirer la commande de l'état jusqu'à CHAGNY ?
Confronté au désaveu populaire, Octagon, surnommé ici "le boulon", a bien évidemment déchaîné les critiques locales : certains ont vu en lui une provocation à l'égard du démontage de l'industrie sidérurgique française toute proche, d'autres une trop grosse facture inutile en période de difficultés sociales, bon nombre une énorme tache à la symbolique absconse plantée au centre de la place publique. Même le prêtre officiant à CHAGNY à l'époque et qui a bien dû entendre présenter Octagon en long, en large et en travers, disait de lui : "Une réalisation qui ne fait naître aucun sentiment, sinon le rejet et la déception."
De guerre lasse le silence se faisant petit à petit autour d'elles, ces installations controversées ne finiront-elles pas par s'enorgueillir d'une légitimité artificielle sournoisement acquise ?
Ce serait oublier que, si les critiques s'apaisent, elles ressortent périodiquement. Pour le moment la rouille n'étant pas encore parvenue à entamer sérieusement le boulon de CHAGNY, il n'y a pas à se poser la question du coût de son entretien, contrairement aux Colonnes de BUREN. Mais, lorsqu'Octagon décidera d'enfoncer ses 57 tonnes dans le sol de la place publique !? Même si, dans la "convention tripartite signée entre la municipalité, l’État et l’artiste, il est bien spécifié qu’aucun déplacement de la sculpture ni aucune modification de son environnement immédiat ne pourront être faits sans l’accord des parties prenantes" , l'avenir pourrait bien un jour jouer des tours de vis au boulon...
Pour en savoir plus sur l'auteur Richard SERRA et sur Saint Eloi, rendez-vous sur Wikipédia :
Le boulon de CHAGNY n'est probablement pas l'oeuvre de Richard SERRA qui marquera l'histoire de l'art. Il n'est certainement pas non plus "le clou" de l'exposition offert par une ville-musée de l'art contemporain attirant la foule des aficionados et des simples curieux..., n'en déplaise à l'édile initiateur de son installation.
Très perplexe, je veux bien par contre comprendre et suivre Richard SERRA ailleurs qu'à CHAGNY, même faire un crochet si l'occasion m'en est donnée quand il dit : "Le spectateur devient conscient de lui-même. En bougeant la sculpture change. La contraction et l'expansion de la sculpture résulte du mouvement. Pas à pas, la perception non seulement de la sculpture mais de l'environnement tout entier change."
Tel le kaléïdoscope que l'enfant fait tourner devant son oeil, à chaque degré de rotation émerveillé du chatoiement de couleurs et de formes différentes...
... la promenade au coeur d'oeuvres monumentales, n'est pas un simple spectacle. Le spectateur dont parle Richard SERRA est également l'acteur de sa visite, créant son propre spectacle unique et changeant...
de formes, d'ombres, et de sensations mouvantes en nombre infini résultant de la multiplication savante de : (la déambulation personnelle) x (la couleur du ciel) x (l'angle et l'intensité de la lumière) x (les sons renvoyés) x (les températures variant) x (l'état émotionnel importé du promeneur) x (l'état émotionnel créé par l'oeuvre, sa taille, son mystère) x (les jeux et les rires des enfants, d'autres visiteurs) x ...
... toutes choses que ne saurait offrir Octagon, le boulon de CHAGNY.
Certaines oeuvres de Richard SERRA ont connu un destin étrange, sinon funeste :
- Déambuler, oui, mais pas forcé !
Ainsi "Tilted arc", découpé de nuit et vendu à des ferrailleurs, n'a pas survécu à l'irritation et la colère des travailleurs devant contourner la chose plusieurs fois par jour pour se rendre à leurs bureaux au coeur de Manhattan.
- "Clara-Clara" (de la lettre "c" du prénom de la compagne de Richard SERRA) monté en avril 2008 à PARIS pour l'exposition "Monumenta" encombre bien la ville de PARIS entre chacune de ses sorties.
- Ils ont encombré espaces publics et expositions, un temps seulement...
"Torqued ellipse" (également nommé Bellamy) et "Blindspot" qu'un fouineur photographe puis "google-earth" ont retrouvé, géo-localisé dans une friche industrielle du BRONX.
- "Equal parallel Guernica/Bengasi" aurait tout bonnement disparu. Créé en 1987, démonté puis stocké par une entreprise privée, quand il a été question en 2005 de remonter l'oeuvre de 38 tonnes, on s'est alors apperçu qu'elle avait disparu, probablement fondue dans la faillite de l'entreprise ! C'est "une copie" qu'on expose aujourd'hui.
- Le promotteur immobilier a abandonné l'idée d'achat des terrains de "Shift" dans l'Ontario devant leur classement en site protégé... bien obligé de faire "contre mauvaise fortune, bon coeur" l'agriculteur !
Question déambulation...
mieux vaut être trader à Manhattan, que brebis ou bien autruche du bush néo-zélandais si on ne tient pas à se voir imposer le contournement de "Te Tuhirangi Contour".
Revenons à notre boulon de CHAGNY : les Chagnotins sont-ils conscients et fiers de vivre à côté d'un trésor de l'art contemporain ? Pas sûr ! Pas sûr non plus que la cote du boulon ne dépasse celle du poids de l'acier...
En tout cas, perplexe et solidaire, juste pour voir et sourire, je ne suis pas parvenu à les débarrasser d'Octagon en le proposant à la vente sur "Le bon coin" il y a quelques années !
Du lard, ou du cochon ? Si dans le cochon, tout est bon, il n'en va pas toujours de même dans l'art ?
F6 - février 2015
NB - seules les photos de Chagny (et du petit cochon à suivre) sont de F6 - nombreuses autres illustrations empruntées sur internet)
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