Captif 4 ans, 2 mois, 2 jours... (6/7)
A KEMPTEN, Ferdinand n'aura passé que 7 semaines, probablement le temps des soins et d'un minimum de convalescence à la suite d'une telle blessure. Puis la captivité se répartira comme suit, durant tout le reste de la guerre.
De KEMPTEN, nous n'avons comme document que la première lettre qui informe et rassure la famille, 2 semaines après le combat de MATTEXEY et la blessure.
De PASSAU (Oberhaus - "la maison du dessus"), où Ferdinand passa un peu plus de 4 mois et qui semblerait être une prison militaire de passage, de tri et de répartition des officiers prisonniers dans différents camps, nous n'avons que cette carte postale "légendée" mais sans autre contenu.
Depuis la forteresse de PLASSENBURG "bei KULMBACH", la correspondance entre Ferdinand et la famille est la plus abondante. C'est ici, dans cette petite ville de BAVIERE, qu'il passera le plus de temps de captivité : 2 années et 11 mois, autant dire 3 ans.
Fin 1915, des aquarelles de fleurs colorées, élégantes et rassurantes sont envoyées...
... témoignant que le temps passé en captivité, quand on est officier, n'a pas la même consistance que celui imposé à un homme du rang :
... Dès le début de la guerre, les autorités allemandes se retrouvent confrontées à un afflux inattendu de prisonniers. En septembre 1914, 125 050 soldats français et 94 000 russes sont captifs. Avant 1915, les conditions de détention en Allemagne sont très difficiles et marquées par le provisoire et l’absence d’infrastructure.
Dès 1915, les autorités allemandes ont mis en place un système de camps, près de trois cent en tout, n'hésitant pas à recourir à la dénutrition, aux punitions et au harcèlement psychologique et alliant l’enfermement à l’exploitation méthodique des prisonniers. Cela préfigurait l'utilisation systématique à grande échelle des camps de prisonniers au cours du 20ème siècle.
À partir de 1915, les officiers prisonniers disposent de camps qui leur sont réservés, les conditions de vie y sont souvent moins difficiles que celles que subissent les hommes de troupe. Les officiers disposent de lits au lieu de sacs de paille. Des salles spécifiques sont même aménagées pour les repas. Dispensés de travailler, les officiers jouissent d'un quotidien surtout fait d’études ou de sport.
Cependant, la captivité organisée par les autorités militaires allemandes a aussi contribué à créer des échanges entre les peuples et entraîné chez nombre de prisonniers une réflexion sur leur engagement et leur relation à la patrie...
(extraits de Wikipedia - Prisonniers de guerre de la Première Guerre mondiale en Allemagne)
Par cette correspondance, Ferdinand présentera le cadre général, celui du bâtiment de détention, et celui de la ville.
Les prisonniers sont-ils autorisés à sortir de la forteresse ?
Il rassurera les proches en posant en belle tenue.
D'où vient-elle cette belle tenue ? Probablement pas du champ de bataille de MATTEXEY...
En captivité on se laisse aller à quelques originalités "poilues"...
... dont on s'explique..., ou s'excuse !?
Ferdinand présentera ses co-détenus. Certains qui sont nommés, comptent sans doute plus que d'autres...
Il aura le temps de correspondre et recevra de nombreuses cartes des proches, pratiquement autant de photos que de cartes ordinaires...
Jeanne est jeune, elle a 21 ans et une plus jeune soeur Marthe. Son niveau d'orthographe est inversement proportionnel à l'amour qu'elle et Ferdinand se portent. Je ne l'ai pas connue exerçant d'activité professionnelle, toutefois, une correspondance abondante de clients que son père et elle recevaient, atteste de son intérêt et de sa contribution au commerce du vin.
Correspondance de cartes et de lettres, dans un sens comme dans l'autre, mais aussi envois de colis depuis la France...
... où l'on apprend que les oeufs, ça casse, alors que le chocolat ne semble pas fondre, que le sucre sous toutes ses formes, ça compte ; et aussi qu'on envoie de l'habillement. Ailleurs on évoquera un pantalon qui n'a pratiquement pas besoin de retouches. Ici on parle de "fantaisies", terme qui désigne en Côte d'Or les beignets classiques de février-mars, mais plus "sablés", moins "levés"... en un mot, celui de Ferdinand : "excellentes".
Des photos moins "convenues" sont beaucoup plus rares, mais si intéressantes :
nous pénétrons là dans la "chambre des officiers" pour y découvrir les témoignages de leurs occupations. Ici une raquette de tennis, là une flûte et une guitare, ailleurs des rangées de livres, des ustensiles de cuisine, du linge, des tables encombrées transformées en petits établis de menuiserie, des photos, des pinceaux, des tableaux, des boîtes rondes, parrallélépipédiques, en tôle, en carton ou en bois, des valises, des sacs, des caisses, des coffres... et, si vous êtes observateurs, des présentoirs à papiers et outils de correspondance, des petits coffrets en cours de fabrication. Ferdinand n'est pas présent sur ces clichés, mais nul doute qu'on est ici "chez lui", puisqu'on retrouve certains des visages de la photo de groupe, et... ses coffrets.
On l'aura dit plus haut, et il est essentiel de le rappeler : les conditions de captivité n'étaient pas comparables à celles des hommes du rang.
Ses coffrets, Ferdinand mettait beaucoup de soin à les menuiser avec assemblage en queue d'aronde de bois fruitiers, avec décorations à la pointe de couteau et encres de couleur, vernis au tampon, avec capitonnage intérieur de velours vert ou bleu. Beaucoup de soin, beaucoup d'amour...
Jeanne les aura reçus : boîte à gants à ses initiales, ou coffret orné d'une rose... Les parents de Ferdinand les auront reçus, petit cadre à photo, boîte à rasoirs... Il se dit que le capitonnage dissimulait quelques missives particulières !?
En novembre 1917, un espoir de rapprochement...
... sera déçu.
Pourtant Ferdinand avait pour lui le dernier des critères requis pour ce qu'on appelait l'internement en SUISSE : malade, âgé de plus de 48 ans, ou ayant passé plus de 18 mois en détention. Les conditions d'internement en SUISSE n'auraient, à ce qu'on dit, pas été meilleures que celles de la détention en ALLEMAGNE.
Transféré au Fort Orff à INGOLSTADT fin janvier 1918, Ferdinand cochera la fenêtre de sa chambre sur la carte. Les terrains de sport entourent le camp, et pourtant, ce fort avait vocation à interner quelques fortes têtes récalcitrantes, reprises après leurs tentatives d'évasion. Ce n'était pas du tout le cas de Ferdinand..., mais celui du capitaine Charles de GAULLE.
Depuis Fort Orff en 1918, les espoirs vont croissant. Jeanne et Ferdinand envisagent toujours le rapprochement par l'internement en SUISSE, ou bien un "mariage par procuration". Cela semble effectivement possible, mais très long de formalités. Bientôt 4 ans tout de même !
Long de formalités, mais novembre 1918 et l'armistice approchant, autorisent encore d'autres espoirs, puis l'attente, l'incertitude, les interrogations.
Deux lettres à ses parents à deux jours d'intervalle, "toujours rien de nouveau", "aucun ordre pour nous évacuer"...
...Ferdinand s'impatienterait-il ?
F6 - août 2014
(épilogue du 21 décembre 1918, le 28 août 2014)