Marche arrière jusqu'au 23 août 1914... (3/7)
Jeanne, il l'avait connue en arrivant à NOLAY en octobre 1911. Elle était la fille aînée du marchand de vin. Ferdinand prenait alors son deuxième poste d'Instituteur.
Le contexte des Lois Jules FERRY pour l'instruction publique est toujours d'actualité. L'école devient publique et gratuite en 1881, obligatoire en 1882, imposant un enseignement laïque avant même la loi de séparation de l'église et de l'état de 1905.
Ce contexte, c'est :
- tout d'abord, la récente défaite de la France perdant l'Alsace et la Lorraine en 1870. Défaite attribuée pour partie au meilleur niveau d'instruction des soldats prussiens bénéficiant de l'obligation scolaire bien avant les français,
- ensuite, la réalisation des rêves révolutionnaires de 1789 mis à mal par l'empire et la restauration,
- et enfin, une conception laïque à l'abri des croyances et superstitions religieuses comme la défendait Jean JAURES : "L’école doit avant tout munir les enfants d’une méthode, de l’habitude d’observer, de réfléchir, de penser par soi-même et de comprendre la solidarité, comme l’ardente coopération de volontés libres et d’intelligences autonomes".
C'est Ferdinand, fils de garde-forestier, petit-fils de laboureur qui entre à l'Ecole Normale d'Instituteurs de DIJON en 1904. Il y travaille sa culture générale et obtient le Brevet Supérieur en 1907, tout en se préparant aux missions de l'enseignement primaire telles que définies par la loi de 1882 :
- L’instruction morale et civique,
- La lecture et l’écriture,
- La langue et les éléments de la littérature française,
- La géographie, particulièrement celle de la France,
- L’histoire, particulièrement celle de la France jusqu’à nos jours,
- Quelques leçons usuelles de droit et d’économie politique,
- Les éléments des sciences naturelles physiques et mathématiques, leurs applications à l’agriculture, à l’hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers,
- Les éléments du dessin, du modelage et de la musique,
- La gymnastique,
- Pour les garçons, les exercices militaires,
- Pour les filles, les travaux à l’aiguille.
Les bataillons scolaires à la mode "revancharde" dès 1882 et pour une dizaine d'années, ne connaissaient peut-être pas, ou plus autant d'engouement à cette époque et en province...
Clichés empruntés sur internet
... toutefois, afin de préparer le futur citoyen patriote et militaire, on décernera également à Ferdinand un titre de "Maître de gymnastique" en 1907, sans oublier l'enseignement des sciences de la terre, en théorie et dans la pratique... bien utiles en milieu rural !
Cliché emprunté sur internet
C'est Ferdinand, "hussard noir" parmi tant d'autres, d'une solide infanterie enseignante républicaine, qui sort de l'Ecole Normale d'Instituteurs. Nommé sur un premier poste d'Instituteur Adjoint à AUXONNE, il y restera 2 années scolaires jusqu'en octobre 1909.
Fonctionnaire rime avec militaire. Le service arrive alors pour deux années, mettant à profit à la fois les capacités d'encadrement et les connaissances de nos instituteurs, faisant d'eux des sous-officiers de réserve. De "hussard noir", Ferdinand devient donc fantassin, d'abord Caporal au 27e Régiment d'Infanterie de DIJON,...
Ferdinand accroupi à droite
... puis Sous-lieutenant dans ce qu'on appelait à l'époque, probablement par analogie, "l'Ecole Normale de gymnastique et d'escrime" de JOINVILLE. On brassait là, sports, "arts militaires" et encadrement dans un bataillon d'Instituteurs.
Carte postale familiale
Ferdinand reprit la tenue civile du "hussard noir" à NOLAY en octobre 1911, suffisamment de temps pour trouver Jeanne promise, prévoir le mariage, mais aussi pour contribuer à démoder puis à vider l'effectif de l'école privée religieuse de la petite bourgade. C'était là aussi une de leurs missions ! Il devient également, dès son arrivée en 1911, trésorier de "l'Indépendante de NOLAY", société de gymnastique et de préparation militaire, jusqu'à sa mobilisation en août 1914.
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Carte empruntée sur internet
A SARREBOURG le 20 août 1914, échouait en grande partie la bataille des frontières. Le colonel TOURRET, commandant un 95ème Régiment d'Infanterie épuisé et décimé, ordonnait à 16h30 l'évacuation de la ville et le repli sur LORQUIN.
Carte empruntée sur internet
La contre-attaque de l'armée allemande est alors lancée, l'heure de la retraite a sonné ce jour-là.
Chassés de SARREBOURG à 16h30, Ferdinand et son 95ème RI stationnent 9 km plus bas à LORQUIN le 20 août.
Tout en soutenant l'artillerie, ils repassent la frontière et se retirent de 16 km à BLÂMONT le 21 août.
Le 22 août, ils protègent leur retraite évitant un débordement pour enfin stationner à FLIN, passées les rives de la MEURTHE, à 19 h, 19 km plus loin.
Carte empruntée sur internet
"Se retirer d'une étape en arrière pour se refaire", tel est l'ordre donné au 8ème corps. Ferdinand et son 95ème RI rallieront ORTONCOURT à 16h après 24 km le 23 août. Voici ce soir le régiment redescendu au plus bas dans sa retraite, là où il était déjà passé dans la nuit du 9 au 10 août lors de "la grande marche" du surlendemain de son arrivée à CHÂTEL SUR MOSELLE.
Durant ces 14 jours d'août 1914, les deux armées françaises en guerre en LORRAINE auront repris, à peu de chose près, le même trajet en sens inverse qu'à leur arrivée début août 1914. Elles auront avancé d'environ 75 km en passant la frontière allemande de 1870, jusqu'à SARREBOURG pour la première armée du général DUBAIL, et jusqu'à MORHANGE pour la deuxième armée du général CASTELNAU, puis elles se seront repliées d'autant.
Carte empruntée sur internet
La 6ème armée du Kronprinz de BAVIERE, ainsi qu'une partie de la 7ème armée du général HEERINGEN talonneront, menaceront de déborder, repoussant et acculant les forces françaises le 23 août au plus bas, vers la TROUEE DE CHARMES, espace vide de fortifications entre TOUL et EPINAL.
Durant ces 14 jours d'août 1914, le 95ème RI de 3 400 hommes au départ à BOURGES aura perdu près de 1 200 d'entre eux, principalement dans et autour de SARREBOURG.
Mais à ces 1 200 pertes d'hommes du rang et d'officiers, s'en ajoutera une de plus, une perte d'importance, une perte hautement symbolique : à 15 h le 24 août, "se refaisant" depuis quelques heures seulement à ORTONCOURT, le 95ème reçoit l'ordre de se porter sur CLEZENTAINE. Il s'agit là de reprendre l'offensive pour bloquer l'avance des troupes allemandes en les repoussant à l'est vers la rivière MORTAGNE, et éviter que la TROUEE DE CHARMES ne devienne percée ennemie. Le colonel, son adjoint et deux soldats se portent pour une reconnaissance sur la crête, au devant de la troupe déjà en marche. Deux obus fusant de 77 éclatent. Mortellement blessé à la tête, le colonel TOURRET chef du régiment décédera sur un brancard en repassant devant ses hommes.
Au lavoir de CLEZENTAINE - juillet 2014
F6 - août 2014
(à suivre, le 25 août... 1914)