De fer et de terre
Après avoir tenté en août 1914 de reprendre quelques places fortes allemandes depuis 1871, l'armée française repoussée, résiste sur une ligne de front à l'ouest de la MEURTHE. Après moins d'un mois de conflit, l'armée allemande épuisée recule et le front s'enterre sur les hauteurs du massif vosgien, au nord, en deçà de la frontière, au sud, au delà de celle-ci.
Le front s'enterre et la guerre de sape, de mines, de tranchées et de positions âprement défendues, souvent conquises puis reprises, durera jusqu'à l'armistice.
A LA CHAPELOTTE, entre CELLES SUR PLAINE et BADONVILLER sur la commune de PIERRE-PERCEE, un fond d'objets et d'archives militaires a été racheté il y a quatre ans par la communauté de communes. La gestion du musée de La Ménelle est confiée à l'association "Guerre en Vosges". Cette même association propose des visites guidées sur le sentier de mémoire du Col de la Chapelotte . Visite du musée et sortie sur le terrain se complètent parfaitement. Les bénévoles sont compétents, cultivés et très disponibles. Malheureusement, il n'y avait pas de conférence au programme lors de mon passage. (ensemble à ne pas manquer)
Ici, les soldats allemands enterrés au sommet et un peu en contrebas de celui-ci, n'ont pas réussi à prendre la route du col. Les soldats français enterrés à quelques dizaines de mètres des tranchées allemandes, ne sont pas parvenus à conquérir le sommet.
Les régiments s'installent et s'organisent sur ces flancs boisés des contreforts du DONON. Boisés quelques temps encore seulement, car c'est un paysage dévasté, une nature martyrisée, des terrains abreuvés de sang et de morts, parsemés d'éclats, de barres, de munitions, piégés de fils acérés que les combats restitueront.
Les régiments français construiront leurs logements et aménageront leurs terrains d'affrontements, de terre, de bois et de barbelés. L'expression "village nègre" est utilisée, probablement synonyme de sommaire, rudimentaire... : bien triste trace d'héritage colonial sans doute.
Les abris sous roche sont agrandis dans le grès de la montagne, prolongés et protégés de bois à l'extérieur. Deux usines électriques qui accueilleront 3 générateurs du côté français et 2 chez l'adversaire sont ici creusées.
De part et d'autre on installera divers moyens pour faciliter, alléger, accélérer les transports d'évacuation et d'approvisionnement.
Terre, tubes, tuyaux, outils, munitions, vivres, blessés voyagent par sentier à dos de mulets, par petite voie ferrée, par wagonnets à crémaillère et même par téléphérique.
Les régiments allemands auront recours aux techniques plus sophistiquées du béton armé, qu'il soit coulé sur place ou bien acheminé puis assemblé de poutrelles préfabriquées.
Les deux armées s'affronteront aussi dans une guerre de mines. Non pas de mines antichar ou antipersonnelles explosives, mais de mines qu'on creuse habituellement pour extraire des richesses du sous-sol. Sauf qu'ici on creuse jusqu'en dessous de la position supposée de l'ennemi, on bourre la galerie d'explosif, on rebouche en partie, on se sauve et puis le tir est déclenché... 12 corps seraient encore ensevelis... Qui sait par quelle technique malfaisante ils auraient continué de s'affronter si la guerre avait duré encore au delà du 11 novembre 1918 ? Peut-être alors serait-on parvenu à une évidence d'inutilité partagée ?
Le terrain terrible de la guerre s'offre au jeu de construction, à l'ingéniosité du génie... pour une oeuvre de conquête et de défense... de mort et de destruction.
La vie s'organise jusqu'à la mort, "célébrée" sans doute hâtivement d'un côté comme de l'autre, mais du côté allemand, dans une chapelle décorée.
"La guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires"
disait Georges CLEMENCEAU ...
... sans conteste évoquait-il ici la nécessité du contrôle du militaire par le recul et la légitimité du politique élu...
Je ne peux pas quant à moi, m'empêcher de suspecter et de redouter une ardeur que mettrait l'homme à faire puis à collectionner la guerre, similaire à celle que met le petit d'homme à la jouer. Certes la différence d'objet du "jeu" est de taille, mais la différence entre ces poutrelles de béton, ces barres d'acier emboitables et le "Meccano" ou bien le "chalet Jeujura" n'est que d'échelle. "Pan, on dirait qu'tu s'rais mort"...
Ici, c'est la vie qu'on assassine et celles qui, bien que plus éloignées des combats en souffriront plus encore, sont les mères et les femmes.
A LA CHAPELOTTE a combattu un régiment CORSE. Certains soldats ont disparu, quelques familles ne l'ont pas su, bien qu'un jour elles aient reçu une lettre. Quand bien même auraient-elles su lire la langue française, encore eût-il fallu qu'elles la comprennent.
Légende ou vérité ?
Il se dit ici que dans leurs poches et dans les colis expédiés par leurs épouses, les soldats Corses morts dans ces montagnes vosgiennes ont apporté une contribution forestière plus méridionale au reboisement des flancs de LA CHAPELOTTE.
F6
Magnières le 27 juillet 2014