MORVAN : D'hiver
Rare était la lumière cette fin de semaine,
je n'ai vu qu'un timide soleil se coucher bonne heure samedi soir, offrant son dernier nappage lumineux à la cime des arbres.
Dimanche gris au ciel, s'assombrit dans la journée jusqu'à devenir pluvieux tôt dans l'après-midi. Le Morvan ruisselle de toutes parts et ce n'est pas fini. De longues portions de chemins simplement coupées cet automne par un filet d'eau sont aujourd'hui inondées, empruntées par de petits torrents temporaires.
Pays de chasse, mais pouvait-il en être autrement ici en MORVAN ? Je suis seul aujourd'hui dans la neige épaisse, suivant des empreintes nombreuses : renard, sanglier, chevreuil, plumettes traces d'un carnage récent...
Par ce temps gris, il me plaît à chasser la couleur. Disparue des fleurs, il en reste bien ailleurs, à l'horizon des frondaisons, à débusquer au coin du fourré, ou sur le perron des maisons...
L'hiver révélera à qui sait observer, l'ossature et la charpente des arbres, les nuances des écorces. Celui-ci, l'osier, difficile d'y échapper : de l'embranchement au bourgeon terminal, il déploie toute une palette de couleurs du vert tendre au vermillon, passant par le jaune et l'orangé.
Qui sait si un jour on se souviendra qu'il peut aussi faire panier ? Panier fabriqué de mains d'humains, durable, réparable, propre...
La feuille du hêtre tient le coup contre vents, pluies et neiges, persistant encore et encore, jalouse et têtue face aux houx, aux résineux.
Trois tapis sous mon pas donnent une marche confortable : une boue comme expansée puis gelée, un matelas de feuilles mortes, et enfin, recouvrant le tout, un molleton de neige poudreuse. Ce chemin rocailleux il y a peu, est bien plus doux et agréable aujourd'hui.
Le pas se fait musical, qu'il se contente de tasser le coussin de guimauve, d'effritter la biscotte dissimulée ou bien d'exploser une fine couche de glace. Selon la pente et le fondement du sentier, à la basse continue de la guimauve s'ajoute bien souvent le pupitre des biscottes, quand au solo de la plaque de glace, prudence, l'eau n'est pas loin.
Surprise, la fougère n'a pas pris le temps de se rassembler en son pied pour repartir de plus belle au printemps prochain.
La neige souligne la plantation méticuleusement ordonnée des résineux au dessus d'ANOST, les hêtres coulant comme lave leur doux moutonnement violacé de froid.
Les mélèzes colonisent courageusement et généreusement. Si peu nombreux parmi leurs cousins résineux, noyés au milieu des hêtres, ils tentent encore de se distinguer, perdant leurs aiguilles le plus tard possible, éclairant d'un dernier feu discret le couvert forestier.
Que fais-tu là frêle feuille de bouleau ? Tu as trouvé forêt protectrice pour résister encore quelques jours ?
Une petite trentaine d'années seulement, croissance rapide, fût rectiligne, c'est la saison de l'abattage. Autrefois le débardage attendait des jours meilleurs.
Aujourd'hui la fureur des moteurs s'est tue. Dimanche, repos, silence, halte au feu. Demain reprendra le roulement continu du tonnerre des engins forestiers. L'arbre est rectiligne, le moteur surpuissant ne craint ni la pente, ni la boue, ni le gel. Un seul et même engin monstrueux abat, ébranche, tronçonne en billes d'égales longueurs.
Un autre engin, lui aussi piloté par un seul homme, peut-être bien le même, s'auto-chargera et sortira les billes des versants abrupts.
Les chemins du Morvan pleureront toutes leurs douleurs résignées en larmes d'humus, de sable granitique, ou de sciure résineuse.
Autrefois, quand le temps avait le temps...
il marchait au pas des bœufs...
temps d'un Morvan qui ne comptait pas ses bras et ses jambes, ses muscles et sa sueur.
Ici l'alise attend sagement le corvidé ou le passereau des rives de la Corcelière.
Là, madame a rencontré monsieur et son chien : choc, bisou, un petit pas de danse, pied de nez d'amour en chemin ?
Ou d'amour en cage ?
Ferronnée pour durer, la grille aux grappes et feuilles de vigne laisse augurer d'un bonne cave.
Hâtons-nous de prendre le temps, celui qui dure, celui du moulin, du sablier, du pas de l'homme, celui qu'on réinventera peut-être un jour, lassés de le voir filer.
F6 - décembre 2010
complété juin 2014