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En balade, né au vent
11 janvier 2014

... comme noël...

Histoire... d'école.

Christophe, rond comme son papa, terrorisé par la vie sa complexité et sa brutalité, à 10 ans ballottés connaît les coups, les bistrots et la cellule de dégrisement. Celle où dort papa pendant que lui attend, sur le banc de bois de la petite gendarmerie. Pour donner le change à l'interlocuteur, son visage compose deux expressions contraires et réversibles. Les yeux rient et la bouche pleure, les yeux pleurent et la bouche esquisse une ébauche de sourire. Souvent, trop souvent les yeux rieurs s'écarquillent et de grosses larmes perlent. A 22 ans aujourd'hui, Christophe toujours prêt à faire plaisir, tente encore de dompter ces petits signes noirs sur les feuilles blanches. Bien dressés depuis le temps, ils pourraient tout de même passer directement du papier à sa lecture comme ça, sans effort..., lui qui en a consenti tant !

Dis, tu pourrais pas ?... non ? C'est vraiment pas possible ?

Christophe se voit soudeur, comme il croit, comme il rêve que papa l'a été avant. Il dirait qu'il prendrait le bus chaque jour pour l'entreprise de métallerie de la vallée de l'Ouche où il est né.

image001

Dessin de Gilbert PINNA, ici avec son autorisation

Christophe prend le bus chaque jour pour l'ESAT.

Il y aligne soigneusement des petits pots-portions de moutarde dans leur coffret. Un jour peut-être, il sera assez sûr de lui pour compter les yeux sur les sarments et travailler dans les vignes.

Petit salaire et maigre allocation dépensés pour le foyer logement laissent ce qu'il faut pour tabac, téléphone, un peu de loisirs. Un soir par semaine Christophe enfile des personnages à l'atelier théâtre. Parfois le dimanche il sort de la station service ouverte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, alcool fort à la main. La bouteille passe rapidement dans d'autres mains commandeuses... Christophe fourre ce qu'il sauve de monnaie dans sa poche...

 

Ce jour là la classe bricole. 

Avec Sabine ou avec le maître, par petits groupes ou seuls à leurs tables, les élèves découpent méticuleusement le papier métallisé doré, du canson rouge... Les uns avec des ciseaux, les autres plus malhabiles en piquetant la ligne du papier sur un petit carré de mousse. Quelques boules pendent déjà du plafond. Quelques pères noël attendent déjà leurs papillotes dans le couvercle de la boîte de camembert qu'ils enserrent de leurs bras ouverts. On dirait qu'au sol jonché de rognures étincelantes ou floconneuses, des guirlandes ont été semées. Chacun est à son affaire, le silence de mousse piquetée est parfois troublé par un soupir de satisfaction ou de lassitude confiante.

Deux petits coups discrets à la porte de la classe qui s'entrouvre. Christophe pressé pousse et passe sous le bras du chauffeur de taxi qui le ramène de sa rééducation, puis reste pétrifié les yeux écarquillés, l'index pointé : 

"On dirait...

... c'est comme Noël !".

F6 - 23 décembre 2010 sur des souvenirs de bien avant...

 

17 heures, mai 2012, un scooter me rejoint au feu rouge. Sous le casque, les joues débordantes de Christophe.

- Christophe... ?! Salut, tu fais quoi ?

Les yeux se plissent de surprise, de plaisir, et de déférence avec un peu  d'inquiétude au fond. C'est le maître... on est dans la circulation au milieu du boulevard...

- Je travaille, je rentre chez moi, c'est mon scoot, l'est à moi.

- Ah chouette ! Alors comme ça t'as fini ta journée, tu fais quoi ?

D'un hochement de casque, désignant là, à droite...

- Là, je lave... des tabliers..., pis des draps... des fois par terre.

- Content pour toi Chris...

Dans la file de voitures à côté de l'hôpital, le feu passe au vert, à 17 heures. Christophe accélère et tourne à gauche. Je pars en face, resté sur cette faim de rencontre, au vert interrompue... 

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13 heures, novembre 2013, trois gars descendent du fourgon. Il entrent au restaurant qui tient plus aujourd'hui d'une bonne cantine. La silouhette épaissie est toujours empruntée d'une certaine lenteur élégante qui m'est encore si familière. Nul besoin du visage, je le sais, c'est lui.

Comme des habitués en pantalons et pulls de travail un peu maculés de terre, les trois s'assoient à leur table la même qu'hier, tassant leurs fatigues les reins calés au dossier. 

Sûr de moi, je pose la main dans le dos du pull de Christophe. Lent mouvement de tête, les yeux se plissent de surprise et de plaisir. Le foyer est à Dijon, l'entreprise adaptée aussi. Les trois travailleurs parmi eux l'éducateur, viennent ici sur les terres d'enfance de Christophe tailler pour les grands domaines viticoles.

IMG_2458 comp

Aujourd'hui, Christophe sait compter les yeux des sarments...

 

On dirait...

... c'est comme si on s'était aimés...

c'est comme on n'a jamais fini de se rencontrer...

IMG_2466 comp

 

F6 - janvier 2014 

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Commentaires
H
Oh moi aussi, je ne sais pas ce qui se passe, les yeux qui brûlent, le ventre qui chatouille... <br /> <br /> Des gens, des souvenirs, des familles, des "Christophe" comme on en connait tous ou que l'on a croisé dans nos villages. <br /> <br /> Il a trouvé un petit boulot finalement, et je trouve ça génial qu'il ait eu l'envie ou que certaines personnes comme M Claire aient pû lui donner l'envie de renouer avec les lettres, les mots, le théatre, même si ce fut de courte durée.<br /> <br /> Bonne nuit.
M
Trop beau ton récit. <br /> <br /> Emouvant !<br /> <br /> J'ai les yeux qui me picotent........ <br /> <br /> Snif.
Y
Belle histoire, humaine ...<br /> <br /> Hier soir, nous sommes allés voir Ariane Ascaride jouer "Touchée par les fées". Son enfance, quelques morceaux.<br /> <br /> Les fées ne sont pas toutes tendres que ce soit pour les Ariane ou les Christophe. Mais ils font avec.
M
Christophe s'était inscrit il y a deux ans à l'atelier d'écriture que j'anime le mercredi dans les locaux des Papillons blancs à Beaune avec ma collègue Aurélie. Il était tout fier Christophe de savoir encore écrire et même lire...Il m'avait dit : " tu le diras au maître que je sais encore, il sera content !" Finalement il nous a quitté pour l'atelier théâtre qui se superposait une semaine sur deux... Il est revenu nous le dire spécialement... " Tu as raison Christophe! Tu nous inviteras à la représentation n'est ce pas? Oui ! Je vous enverrai un carton ! " Alors voilà on l'attend mais je crains qu'il ne se soit démotivé ..ou qu'il manque de temps avec son travail dans les vignes maintenant !
A
J'ai lu tes coms et c'est vrai que l'alcoolisme foetale fait des ravages..<br /> <br /> J'ai pu voir la différence dans une famille de 4 enfants .<br /> <br /> Les 2 aînés ont eu une scolarité normale avec des boulots sympas plus tard , plutôt artistiques<br /> <br /> Les plus jeunes ( nés 9 et 10 ans plus tard ) étaient rachitiques , grosses difficultés scolaires ( des gentils "Christophe " ) fréquentant les classes spécialisées de mon école .<br /> <br /> Pour une raison que j'ignore , la maman était devenue alcoolique et ces deux dernières naissances en portaient la marque . Les deux derniers étaient des garçons et une chance ( si je peux employer ce terme ) pour eux!.C'est ce que tu signales !<br /> <br /> Un simple constat que j'ai pu faire en travaillant plus de 20 ans dans la même école!
En balade, né au vent
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"Mais en maniant la hache et le passe-partout, j'ai laissé vagabonder mon âme dans l'espace chaud et parfumé, et elle est revenue riche d'une récolte inestimable."
Henri VINCENOT
En balade, né au vent
  • Nez au vent, l'oreille en coin, les yeux curieux, en balade à vélo, à pied, ici et là. Mise en mots, illustrations : F6. Quelques emprunts autorisés, signalés par un lien vers leurs origines. On peut aussi emprunter, en demandant, c'est plus poli.
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