Monter Aluze...
Monter Aluze, c'est un truc qui compte chez nous autres cyclos du sud de la Côte d'Or et probablement chez nos voisins Chalonnais. Pas vraiment juge de paix, ni mètre étalon, ou alors juste un peu des deux. Mais, que Ventoux, Grand-Ballon, Aigoual, Grand-Colombier et consorts soient rassurés, pas de concurrence à l'horizon, pas d'As, de Cinglés, de Fêlés en prévision. Humbles et modestes nous resterons avec notre petit village discret, "perché" entre vallée de la Dheune / canal du Centre et appellations Rully / Mercurey.
Au club, on ne monte pas "à Aluze", on "monte Aluze", comme St Romain, Bessey, Chaux, Les Groseilles, Bouze, Bouilland, La Goulotte, Bel Air, La Rochepot, Blagny... Ce qui importe c'est la route et le sommet, pas le village. Qu'Aluze et ses habitants nous pardonnent de ne pas leur accorder d'autre intérêt que leur ascension modeste !
La bosse n'est pas bien longue :
- au plus 11 km depuis Chagny en pente douce avec deux ou trois paliers,
- 7,5 km depuis Rully plus pentus,
- 5 km depuis St Gilles plus raides encore.
Arriver par St Léger sur Dheune ou Mercurey est moins bucolique. Autrefois avant les autoroutes, la départementale était nationale reliant Chalon sur Saône et Autun. Il en reste encore une fréquentation automobile plus "agressive" envers les cyclos.
Monter Aluze est donc l'objectif d'une petite demi-journée de début de saison, il suffit d'un rayon de soleil, même pauvre, de quelques heures, et d'une température tout juste positive.
Parmi nous il doit bien s'en trouver qui comptent le nombre de leurs ascensions année après année. Sûr que ceux-là chronomètrent aussi chaque montée, étalonnant leur retour de forme minute par minute gagnée. Tel Rocky Balboa alias Sylvester Stallone qui pour retrouver la vélocité court après une poule, le cyclo beaunois grimpe Aluze (entre autres) en cachette des copains.
Henri arrive au rendez-vous de la sortie.
Poignées de main, Raymond demande :
- Alors t'as déjà des kilomètres cette année ?
- Tu parles j'ai rien fait à part du gras, entre saumon, huîtres, escargots, dinde et galette, le vélo est resté pendu.
Puis l'air de rien, pas trop fort au cas où ça s'entende, comme se remémorant le péché d'une autre gourmandise... et pis des fois qu'on l'aurait vu :
- ah si..., j'ai monté Aluze hier...
A chaque ascension le peloton s'observe par dessus ou par dessous l'épaule, juste pour voir l'état des copains, et, en douce, surveiller celui qui pourrait démarrer pour faire le fier et énerver le groupe. Quelquefois un capitaine implicite presque unanimement reconnu sentant l'échauffourée arriver tente de faire passer le mot gentiment, désespère et finit pas crier :
- Assis ! On part ensemble, on monte ensemble, on arrive ensemble, non de ... !
Mais toujours, ça finit par décrocher par le haut où l'Henri caracole, tandis que par le bas on se demande bien s'il ne va pas falloir pousser le Raymond.
Quand Raymond arrive au sommet, l'Henri l'air de rien regarde sa montre du coin de l'œil, non pas qu'il soit pressé de rentrer encore que..., mais plutôt pour quantifier sa fière avance au dérisoire tableau d'honneur des cyclos costauds. Ainsi reconnaît-on qui aura monté Aluze plus de fois, plus tôt et bien sûr... en cachette des copains.
Un jour le grand Jacques, ancien coureur coutumier du secteur, tout en montant m'a dit à l'oreille :
- Te fatigue pas à vouloir rattraper l'Henri maintenant, tu restes abrité 3 ou 4 gars derrière, t'attends de passer le noyer que tu vois là-haut à gauche, et là..., tu démarres !
NDLR - ça a marché... déposés au noyer, coiffés au sommet !
Parfois, quand la saison est un peu plus avancée et les copains affûtés, on oublie alors qu'on monte Aluze qui n'est que le petit déjeuner d'une longue journée. Passé Aluze, le plat principal sera Mont St Vincent ou Uchon. On l'oublie..., sauf au retour :
- Faut encore s'taper Aluze !
Mais bon..., puisque "ça sent l'écurie", le dessert ne restera pas tant que ça sur l'estomac.
Plus tard, bien au delà d'une fin de saison raisonnable et comme une discrète revanche, Raymond va seul monter Aluze à la faveur d'un bel après midi de novembre. Au sommet, remontant la fermeture de son blouson, Raymond n'en revient pas de regarder sa montre. Et c'est sans doute à imaginer l'Henri, poussant déjà le chariot dans les allées du supermarché faisant provision de foie gras et de cadeaux de noël qu'il sourit juste avant de repartir dans la descente..., l'air de rien !
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Hélène pédale au long cours devant, à côté ou derrière Paul, mais pas l'hiver, pas en semaine... sauf en voyage bien entendu. C'est Paulo qui garde la carte routière et l'appareil photo ; Hélène, le chocolat et les abricots.
Stoppée net devant un paysage de rêve, une porte de grange pluri-centenaire, des rideaux de fenêtre crochetés maison, ou une plaque de rue au nom pittoresque... on l'entend s'exclamer :
- Paulo, la photo !
Un jour, alors que je passais débaucher son époux pour petite virée de fin d'hiver, Hélène me dit :
- Je sais pas c'qu'il y cherche Paulo à Aluze, il y va même des fois en semaine, tout seul. Il doit avoir une bonne-amie là-haut !
Pour une Hélène qui pose la question, quelques dizaines d'épouses doivent bien se demander ce que leur conjoint trouve à Aluze !
Eh bien ça y est, aujourd'hui la photo c'est moi qui l'ai faite, et qui plus est, celle de la bonne-amie :
Tu parles d'une belle blonde aux cheveux tressés...
... à la croupe avantageuse...
... l'appétit à toute épreuve...
... mais, rien à craindre, elle est bien entourée...
... d'une bande d'hippo-hippies chevelus, pantalons pattes d'éléphant, pas très propres sur et sous eux...
... certains impudiques et sévèrement membrés...
... aux jeux puérils...
... je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier...
A la réflexion, mais à la réflexion seulement, je me demande si je ne lui aurais pas un peu tapé dans l'oeil à la belle blonde !?
Tu vois Hélène, pas de quoi fouetter un cheval, certains montent besogneusement, d'autres grimpent allègrement, mais aucun de nous n'abuse d'Aluze..., juré !
Ne le répétez pas, mais j'ai monté Aluze le 31 décembre 2013 et ce matin déjà, 5 janvier 2014...
© F6
février 2011 (revu et corrigé janvier 2014)