TDF 10 - Dans le vif des Pyrénées
Dimanche 20 juillet 2008 - (MATEMALE - QUERIGUT - MILANES - PORT DE PAILHERES - ASCOU - AX LES THERMES - TARASCON SUR ARIEGE // 83 km) - nuit orageuse, quelques gouttes, grasse matinée, départ à 6h50. Hier soir, Gérard mon beau frère, lui aussi cyclo bien plus sportif que touriste, prend des nouvelles et m'apprend que le COL DE PAILHERES à 2001 m est un des plus difficiles du massif des Pyrénées.
Gérard, comme tant d'autres enfants, a rêvé devant les reportages télévisés du Tour de France. D’abord footballeur, il s'est mis au vélo jeune adolescent, a goûté à la course en FSGT, puis la passion ne l'a jamais quitté ; il roule et court encore pour le club UFOLEP/FSGT qu'il préside en Seine et Marne. C'est un peu grâce à lui que j'ai découvert le vélo moi qui étais plutôt course à pied, handballeur, skieur et marcheur loisir. De ces heures passées devant la télévision à vibrer aux exploits de Bernard HINAULT, Laurent FIGNON, Eddy MERCKX... il a acquis une solide culture géographique. Gérard et moi avons roulé quelques très bons moments de brevets montagnards du Jura et des Alpes, hors de toute compétition, sur des parcours amoureusement tracés par des amis du coin. Je resterai admiratif des connaissances qu'il a acquises, altitudes, pourcentages, villes voisines... même là où il n'a pas encore mis la roue.
Ce Tour de France des coureurs comme tant d'autres courses, a beau être chaque année de plus en plus suspect - le scandaleux le disputant au ridicule ou à l'odieux - il attire toujours autant de monde sur le bord des routes et devant les écrans TV.
Pailhères - Tour de France - juillet 2013
A force d'hélicoptères, de motocyclettes, de commentaires historico-géographiques qu'on dirait tout droit lus du guide vert, de lutte sportive sur fond d'artifices dopants, spectateurs et téléspectateurs se plaisent à découvrir le pays, cautionnant ou légitimant inconsciemment par leur présence la manne publicitaire et la tricherie sportive.
J'ai très rarement suivi une retransmission sportive télévisée complète, et n’ai jamais lu de journal spécialisé. Le sport pour moi est avant tout une pratique et pas un spectacle.
Pailhères - Tour de France - juillet 2013
Jamais les résultats du lundi matin ne m'ont intéressé, toujours le spectacle des supporters m'a effrayé. Je découvre sur la carte, sur le tas, dans la côte.
Ici, dans le Port de Pailhères, on a le temps : le pourcentage moyen de 8,40 % sur plus de 10 km l'impose.
C'est le grand calme, les brebis bonasses sont à peine dérangées par mon passage, la petite route empile majestueusement ses 9 derniers lacets comme les spires d'un ressort.
Pailhères - Tour de France - juillet 2013
Le calme de mon ascension n'aura pas été perturbé par plus de 4 ou 5 automobiles ce dimanche : difficulté, météo, confidentialité ?
La descente sur ASCOU et AX LES THERMES est à peine plus fréquentée. Nuages et gouttes de pluie, éclaircies puis chaleur, il est difficile de présager avec un peu de certitude de l’avenir météorologique de cette journée. Du petit maillot sans manche au coupe-vent imperméable, en passant par le blouson, tout, sauf la cape de pluie, sera utile aujourd'hui. Pique nique à Ax, devant l'église au bord de l'Ariège. Marginaux, routards, SDF, comment les nommer sans condescendance ou mépris ? De jeunes hommes jouent aux échecs, assis par terre entourés de leurs chiens au plein milieu de la place piétonne d'Ax.
Dans les Pyrénées, je pensais voir l'ours car ce matin la route en parlait en peinture ; eh bien non, c'est le loup que j'ai rencontré entre Ax les Thermes et TARASCON SUR ARIEGE. Pas le renard, ni la belette, ni même le blaireau, mais Guillaume LELOUP. Il arrive face à moi et nous reconnaissons notre projet commun grâce à nos plaques de cadres. Il fait demi-tour et chacun de nous fait le point sur son avancée : Guillaume LELOUP est tout à son effort, il est parti il y a 6 jours de WISSANT dans le Nord et son compteur affiche déjà 2 400 km, soit la moitié du trajet ! "Je vais l'avoir cette année" ; il parle du "record" établi par Patrick PLAINE en 1978 en 13 jours et 9 heures (Patrick préfère parler d'une extraordinaire performance).
C'est son huitième ou neuvième tour de France ; il me trouve chargé, lui qui n'a qu'un petit sac à dos, une assez grosse sacoche sous la selle, un programme de route et deux lampes sur le cintre. Il me demande si le resto-rapide plus haut dans le virage est toujours là et ouvert, attestant ainsi d'une connaissance minutieuse de l’itinéraire. Après 7 ou 8 tours, il ne s'embarrasse pas de cartes routières et les routes nationales ne l'effraient pas. Son maillot cycliste FDJ (Française Des Jeux) est gris plutôt que blanc. Il ne dort pas vraiment mais doit être un adepte de la sieste éclair, enroulé au pied d'un arbre ou sous un abribus dans une couverture de survie. Effectivement, nous ne faisons pas le même "métier", moi qui lessive chaque soir tout en me réhydratant à grandes lampées d'eau bien fraîche, et qui dors mes 7 à 8 heures par nuit. L'homme du boulanger de Saint Sauveur sur Tinée, c’est peut-être bien Guillaume (cf Au cœur des Alpes).
J'arrive à 14h20 à Tarascon sur Ariège et m'y arrête par crainte du mauvais temps. Le camping est presque complet et l'emplacement qu'on me propose au carrefour de deux voies me mettra au ras des pots d'échappement, des conversations des campeurs revenant de l'accueil, des sanitaires, des terrains de sport, du bar ou de l'épicerie.
Ce soir c’est pot d'accueil : concert de musique variété, animateur bonimenteur, premier verre offert, demi douzaine de serveuses sillonnant l'assemblée des campeurs pour proposer à la vente les suivants. Je m'endormirai dans ce brouhaha pour une nuit mouvementée. Navette entre tente et toilettes, la fièvre monte. Fontaine souillée de la route de Mont Louis l'avant-veille, ou bien tranche de rôti périmée d'Ax ? Toujours est-il que je suis bien rassuré de trouver du papier hygiénique dans ces toilettes. Le rouleau donné par les touristes à la supérette de St Martin Vésubie n'aurait pas suffi !
Lundi 21 juillet 2008 - (TENTE - TOILETTES - TENTE - TOILETTES - TENTE - TOILETTES - Médecin - Pharmacie - Supérette - TENTE - TOILETTES ... // 4 ou 5 km)
Je dors tout l'après midi entre fièvre et odeurs d'échappement, en prenant sagement tout ce qu'a dit le médecin que j’ai consulté le matin ! Le soir c'est un nouveau spectacle qui est offert aux campeurs : l'élection de Mister et de Miss Camping. Le patron a une vocation de metteur en scène, régisseur, meneur de revue, tout en ayant un œil intransigeant à l'égard du moindre papier qui traîne et qu'il ramasse. Il propose également de la documentation, des affichages, et des expositions sur les possibilités de randonnées pédestres et cyclistes du secteur. Un homme à tout faire, cherchant à satisfaire chacun de ses campeurs, employeur de main d'œuvre nombreuse et efficace.
Mardi 22 juillet 2008 - (SAURAT - COL DE PORT - MASSAT - ST GIRONS - AUDRESSEIN - COL DE PORTET D'ASPET - COL DE BURET - JUSSET - COL DES ARES // 112 km)
Départ à 7h30, j'y vais, j'y vais pas, ça va tenir ou pas ; on se tâte le front, on se palpe les genoux, on se questionne. Allez c'est parti, remballons on verra bien !
Bien m'en a pris, c’est une magnifique journée champêtre mis à part les abords et la traversée de St Girons. 8 cols grimpés c’est presque trop, ça va vite, je n’ai pas assez de temps pour profiter des paysages, ..., il faudra revenir, ici aussi. Ces Pyrénées commencent à bien me plaire, malgré Mont Louis et son eau, à moins que ce ne soient Ax et son rôti les responsables de mes désagréments intestinaux.
Saurais-tu Francis, transporté les yeux bandés, reconnaître le massif montagneux où tu te trouves : Alpes ou Pyrénées ? Qu'est-ce qui fait leur particularité ? Cette question, je me la suis posée longtemps, maintenant je crois pouvoir y répondre avec quasi certitude si on me laisse le temps de faire quelques kilomètres, jauger une vallée, observer un habitat, m’imprégner d'une atmosphère ...
8 " petits " cols, et je suis surpris de ne pas ressentir de fatigue extrême ; on fait de belles choses en matière de médecine et d'antibiotiques !
Col de Port - 1249 m // Col des Caougnous - 947 m // Col d'Espies - 794 m // Col du Four - 823 m // Col du Portet d'Aspet - 1069 m // Col du Buret - 599 m // Col du Bech - 715 m // Col des Ares - 797 m. J'avoue en avoir passé quelques uns sans m'en rendre compte. Pas signalés, pas attentif, peut-être est-ce là une des particularités des Pyrénées : des vallées haut perchées, encaissées, passer de l'une à l'autre sans tout redescendre, enchaîner les versants, frôler les sommets.
Je m’arrête quelques minutes dans le Portet d'Aspet à la stèle de ce jeune tué en heurtant le muret d'un virage dans la chute de 5 ou 6 coureurs de l’édition 1995 du Tour de France. Fabio CASARTELLI mort à 25 ans. Profondément désolant.
Fin d'étape au sommet du Col des Ares, dans un ancien relais racheté par une association hollandaise "Pyrénées émotions". Repas chaud, assis à table, seul campeur dans cet endroit sauvage et charmant, décoration sobre, sportive, soignée.
Mercredi 23 juillet 2008 - (ANTICHAN - BAGNERES DE LUCHON - COL DE PEYRESOURDE - BORDERES LOURON - ARREAU - COL D'ASPIN - Ste MARIE CAMPAN // 92 km) - Départ 6h45, étape calibrée par les grands cols.
Aller au-delà de SAINTE MARIE DE CAMPAN, c'est s'engager dans le Tourmalet, et ça, ça demanderait plus de fraîcheur et de temps que ce dont je disposerai après les deux cols prévus aujourd’hui.
Magnifique départ dans la descente du col des Ares, j'assiste, une fois de plus émerveillé, au spectacle des couleurs naissantes et de l'ombre s'évaporant. Grandes et larges vallées pour l'accès aux deux grands cols du jour, grands par la longueur des ascensions, la notoriété, et la beauté des paysages.
Peyresourde empile lui aussi quelques lacets, moins nombreux que Pailhères, mais leurs rampes d'accès sont raides et plus longues ; même les véhicules automobiles peinent dans certaines portions.
Le sommet est fréquenté, automobilistes, autocars, cyclosportifs s'y retrouvent au milieu du bétail en liberté. C'est là encore une des particularités des Pyrénées, brebis, chevaux, vaches y paissent sagement au milieu des véhicules, parfois sous les camping-cars, à l’ombre.
Aspin tout aussi grandiose ne dément pas cette particularité. La descente révèle le site magnifique de Payolle.
J'arriverai à SAINTE MARIE DE CAMPAN à 15h45, dans un camping - auberge du village à 5 € 22 la nuitée, et 9 € le repas du soir (0,22 € c'est la taxe de séjour). Quelle bonne adresse : propre, campagnard, gentillesse, petites patates et jambon de pays succulents, pointe d'accent espagnol charmant des deux sœurs servant la cuisine de leur grand mère...
Un endroit de plus que je quitterai à regret, où je prendrais bien pension pour quelques jours de promenades.
Ce soir me voici avec la même petite pointe d'émotion qu'à Saint Paul sur Ubaye avant la Bonette à l'idée d'affronter demain le Tourmalet.
F6 - septembre 2009