TDF 2 - A l'assaut des Alpes
Mardi 8 juillet 2008 - Réveil 5h30, 1 heure de rangements dans la quiétude du camping ensommeillé que seuls quelques pipis matinaux dérangent. Ils sortent de leur tente ou caravane et se rendent aux sanitaires, comme des automates en tenue de nuit parfois chancelants, rouleau de papier hygiénique à la main. Rarement un mot, surpris d'être surpris, au mieux un signe de tête car il ne faut pas troubler le sommeil des autres. N'empêche que ça en surprend plus d'un cet hurluberlu, lui aussi en vacances, déjà debout vêtu de fluo arrogant, vélo harnaché, lampe frontale allumée, remuant sacs de réserves alimentaires et popote, alors qu'on se croit seul au monde libre de s'étirer... !
La journée s'annonce belle, quelques orages lointains ont troublé le silence du camping de leurs roulements de tonnerre. Je descends en direction du Lac LEMAN et file à bonne allure vers ANNEMASSE, puis BONNEVILLE. Me voici tout de suite dans les beaux paysages par les gorges des Eveaux, débouchant sur le premier palier qu'offre le COL de SAINT JEAN DE SIXT (956 m).
J’achète d'un chapeau type bob, perdu bien plus tard, à l'arrivée de la pluie en Bretagne !
"Que j'aime monter chargé, lentement et régulièrement" écrivais-je sur le carnet de route au soir de cette étape : je ne regretterai jamais cette phrase durant tout ce voyage.
Pique-nique à LA CLUSAZ. Ici les remontées mécaniques proposent leurs services à des vététistes qui, dotés d'engins pourtant tout à fait adaptés, préfèrent descendre le plus vite et le plus acrobatiquement possible plutôt que monter lentement et régulièrement. Certes, ils ne recherchent que griserie adrénaline pilotage et danger, mais j'ai bien du mal à accepter qu'on dérange ainsi la montagne... l'été aussi. Je verrai bien pire : randonnées en quads, ou en 4x4.
Sorti de LA CLUSAZ, c'est le COL DES ARAVIS (1498 m) aux lacets rapprochés, étroits et bien pentus. Ma vitesse tombe à 4,5 km/h me laissant grandement le temps d'admirer les tarines, compter les virages, lire la carte, et supposer le col arriver. Descente vers FLUMET par les gorges de l'Arondine puis UGINE.
Après les difficultés rencontrées la veille pour trouver un camping et devant le dessin inquiétant de la Route Nationale 212 sur la carte, je me renseigne à l'office du tourisme. C’est un administrateur empressé, élu local de passage à l’offfice qui me retire le plaisir d’être renseigné par la charmante hôtesse. Heureusement pour lui, il m’annonce deux bonnes nouvelles : camping à ALBERVILLE, et piste cyclable longeant la route nationale. Arrivée à 16 h au camping municipal après 118 km, c’est suffisant pour une première étape Alpine.
Test des premiers cols bien passé, je suis plus confiant.
Au camping arrive un jeune cyclo allemand aussi peu francophone que fortuné. Il tente de négocier le tarif en expliquant qu'il doit encore rentrer en Allemagne. Devant l'intransigeance de l'employée municipale, me vient l'idée de partager avec lui l'emplacement que j'ai payé, suffisamment vaste pour accueillir plusieurs petites tentes et lui permettre ainsi quelques euros d'économie. Moi qui pensais trouver un interlocuteur pour quelques échanges, c'est raté : il conversera et boira sa bière avec des voisins allemands arrivés après nous ! Pas sûr qu’il ait compris mon geste. Douche, lessive, balade, achats en ville, préparation de l'itinéraire du lendemain, repas, quelques pages de lecture, couché tôt, comme d'habitude, sommeil vite trouvé malgré le bruit de l'Isère. Emploi du temps quasi rituel des fins d'après-midi et des soirées.
Mercredi 9 juillet 2008 - Réveillé à 5h15 par le bruit de la circulation routière importante et par le programme conséquent de la journée venu exciter très tôt mes neurones, je lève le camp à 6h30.
Il faut absolument trouver la petite Route Départementale 990, et ses 15 km de plat avant d'aborder le COL DE LA MADELEINE dont on m'a vanté la difficulté. Le tracé du jour coupe le cou de la poule que forment les deux vallées : Maurienne et Tarentaise, l'Isère et l'Arc. Je me rendrai vite compte que la réputation de ce col n’est pas surfaite. La pente se redresse dès le départ et c'est parti pour 27 km, passant de 410 m à 1998 m d'altitude.
Ce col est long et dur, mais la route est calme. Il est encore tôt et seuls quelques véhicules d'artisans me dépassent ou me croisent. Le paysage sort de la forêt et s'épanouit petit à petit sur une vallée encaissée. "J'ai eu le temps de compter les orchidées" dit encore mon carnet de route.
Je m'arrête tous les 2 ou 3 km et mets pieds à terre pour marcher et me détendre un bref moment. C'est nécessaire et suffisant. J'ai alors l'impression agréable que les muscles des jambes "s’assouplissent" durant ces quelques minutes. Petit goûter en route à la sortie de CELLIERS près d'un moulin restauré au bord d'un minuscule plan d'eau cristalline. Quelques cyclos "en profitent" pour me dépasser !
Les derniers kilomètres sont tout aussi exigeants mais le paysage de l'arrivée récompense largement des efforts consentis.
La descente s'amorce, je m'arrête manger chaud à SAINT FRANCOIS LONGCHAMP. La station quasi déserte est sinistre. Les remontées mécaniques tournent là aussi, mais à vide. On me dit qu'il y a quelques vététistes..., mais que la saison s'annonce mal. Bernard et Catherine viennent skier ici l'hiver et nous rapportent de l'excellente tome de LA CHAMBRE où demeure la maman de Bernard.
Le trajet LA CHAMBRE - SAINT JEAN DE MAURIENNE - SAINT MICHEL DE MAURIENNE par la RN 6 est très éprouvant, tant par la chaleur que par la circulation dense de poids lourds, de vacanciers et d’autochtones. Arrêt à 15h30 à SAINT MICHEL DE MAURIENNE après 93 km. Aller plus loin, ce serait passer un col de plus, le Télégraphe, et camper à Valloire avant d'entreprendre le Galibier. Prudemment, j'ai préféré remettre ces difficultés au lendemain : la Madeleine, la RN 6 et la chaleur suffiront à cette 4ème étape, quitte à habiter ce camping pas très accueillant et plutôt dur !
Jeudi 10 juillet 2008 - Horaires habituels, départ de SAINT MICHEL DE MAURIENNE à 6h35. Lever de soleil sur la vallée, COL DU TELEGRAPHE au petit matin.
L'enchaînement Télégraphe - Galibier ne représente que 41 km, mais à la vitesse du cyclo-campeur il va occuper une bonne grande demi-journée. La course cyclo-sportive La Marmotte est passée ici il y a une ou deux semaines laissant derrière elle un immonde tapis d'emballages de barres, gels, compotes, pâtes, Power..., Vital..., Over..., Final..., jonchant l'accotement. Horde de gougnafiers !
Passé le Télégraphe à 1570 m où les plus matinaux des cyclistes commencent à me rattraper c'est la descente sur VALLOIRE, superbe station aux boiseries clinquantes fraîchement lasurées et aux coquets hôtels 3 ou 4 étoiles. Je m'offre le plaisir de chaque matin : faire quelques achats, déballer popote, préparer puis siroter café ou thé bien chaud avec pain frais sur le coup des 10 heures dans un endroit accueillant. De plus, le spectacle aujourd'hui m'est offert par l'école d'escalade à la sortie du village. Monsieur grimpe, Madame suit des jumelles, les enfants s'ennuient. Après VALLOIRE, c'est parti pour longtemps, selon la technique maintenant éprouvée des 2 ou 3 km de route, soit environ 30 minutes, suivis des 2 ou 3 de détente musculaire.
Je tente de converser avec un monsieur grimpant léger mais presque aussi lentement que moi sur un bon VTT, erviette éponge à la ceinture. Il ne comprend pas un mot de français, ni lui, ni le plus jeune qui pourrait être son fils. Tantôt devant, tantôt derrière, celui-ci s'arrête fréquemment pour capturer des paysages dans son bel appareil photo. Il cherche, choisit, s'installe méticuleusement pour des cadrages de rêve. Nous mangeons à PLAN LACHAT, eux au bar, moi dans l'herbe.
Vient ensuite la partie la plus difficile aux pourcentages les plus forts et c'est là que je reconnais descendant à vive allure, Jean Marc notre médecin de famille. Quelle plaisante rencontre... si seulement il m'avait entendu le héler !
Les cyclistes se font de plus en plus nombreux ainsi que les motards, les camping-cars, et les camions de travaux publics. Quelques rares cyclos-campeurs descendent. J'arrive au sommet sur un ruban de bitume tout frais, encore collant et nauséabond. Pique-nique dans la descente, les reins bien calés dans l'herbe moussue d'une prairie pentue, ponctué d'une sieste au soleil.
COL DU LAUTARET (dans la descente du Galibier) : arriver à la terrasse du bistrot, béquiller son vélo, tomber le casque ; c’est quelque part étonner la galerie comme un motard descendant de son énorme Harley-Davidson. Je confirme à 70 km/h dans la descente de la vallée de la Guisane que mon vélo est plus stable qu'une mobylette : même pas peur !
A LE MONETIER LES BAINS (SERRE CHEVALIER) le camping est moins cher qu'à BRIANCON et l’ombre bénéfique aux coups de soleil. Je m’y arrête à 15 heures après 62 km de bonheur (moins quelques-uns d'immondices). Demain et les jours suivants, j'entrerai dans l'inconnu de cols que je n'ai jamais gravi aux noms évocateurs : IZOARD, VARS, BONETTE, TURINI... matière à nourrir de beaux rêves.
F6 - septembre 2009