Sous le Risoux
Je ne sais pas vous..., moi j'ai toujours eu grand plaisir à plonger dans l'eau calme, à être le premier à rider sa surface alanguie d'un grand éclaboussement. Souvent jeune ado, j'arrivais en tête à la piscine des Grésilles tout juste ouverte, bâclant une douche symbolique, écrite obligatoire sur les panneaux...
A vos interprétations...
Hier 30 novembre, décision prise la veille à la faveur d'une fenêtre météo et boulot (conquise de haute lutte), je décide d'aller passer le week-end Chez l'Aimé à CHAPELLE DES BOIS. Même s'il n'y a plus l'Aimé, on aime à venir et revenir ici chez Christian dit "Coco", où randonneurs et familles sont accueillis à bras ouvert, tout simplement et gentiment. Le Godin diffuse sa bonne chaleur dans la salle commune et commence tout juste, début de saison oblige, à tempérer le bâtiment. 3 degrés dans les chambres vendredi, il faudra solliciter un peu l'électrité cette nuit.
Piste des Lacs 8,5 km sur le domaine de Bellefontaine
La route est dégagée, mais déjà très verglacée par endroits. Les 1,2 km montant sont passés en douceur et en deuxième à 15 à l'heure.
13h30 : seul dans son gîte-refuge, Christian prend un peu de repos après une longue soirée de conversations passionnées, très certainement bien arrosées...
Sur le coup de l'ouverture du gîte, j'aurai été devancé par le parisien à casquette rouge et barbe blanche, célèbres dans tous les massifs montagneux.
"Casquette rouge" monte toujours avec sa flasque de réconfortant de choix et une bouteille d'Hysope de sa fabrication dont il laisse le reste... quand il en reste... "Coco" a toujours au congélateur deux bouteilles : la première de liqueur de bourgeons de sapins de sa récolte, la seconde d'eau de vie de gentiane de la distillerie de CHAPELLE DES BOIS.
Ratés de peu l'ouverture du refuge, l'Hysope, la gentiane, les bourgeons, Casquette rouge, ses deux comparses, les conversations animées... Piètre consolation, je serai premier à emprunter le tracé de la boucle de ski de fond des Lacs, juste derrière le passage de la dameuse à 14h...
"Chez l'Aîmé", c'est là sous le Risoux, à la lisière de la forêt, en cassure de pente (petit triangle blanc du pignon)
Au fur et à mesure que je m'approchais du JURA, celui-ci s'est dégagé de l'emprise grise et sombre apportant quelques centimètres de neige fraîche. Il reste, bien accroché au RISOUX comme frontière avec la SUISSE, une écharpe nuageuse soufflée par le vent d'est dans l'axe du massif.
SOUS LE RISOUX passé 16h, la neige n'est plus blanche. Petit à petit la fin du jour met le feu aux cristaux.
De ce combat quotidien, le froid et le sombre sortiront grands vainqueurs pour de longues heures.
Je ne résiste pas à l'envie d'aller assister au spectacle sur la crête du massif, au belvédère sauvage de ROCHE BERNARD.
Véritable ouverture de trace en raquettes,...
... je peine comme à chaque fois dans cette côte sévère. Plus encore aujourd'hui car les 40 cm de neige légère comme nuage n'ont pas du tout été tassés.
Les raquettes à neige tassent, accrochent, tordent, glissent sur la rocaille ; elles sont indispensables. Le voisin m'avait dit : "A cette saison, l'heure, ça tourne vite ! ". Je sentais bien que mon départ trop tardif ne permettrait pas de profiter pleinement de l'embrasement majestueux. Monte en moi l'hésitation : aller au bout dans un sentier si rocailleux et pentu au risque d'un retour périlleux à la lampe frontale, ou rebrousser chemin et murmurer penaud un bonsoir au voisin ?
Ma peine et mon inquiétude ne seront récompensées que par l'hallali final. Sans cor ni trompettes, un disque solaire à terre derrière BELLEFONTAINE tente de fuir de l'autre côté.
De l'autre côté, figée dans le froid et la nuit tombante, CHAPELLE DES BOIS gît, se fondant déjà dans la pénombre de la forêt.
Les raquettes à neige indispensables à l'aller le sont tout autant au retour. Mais contre toute attente, le plaisir est là l'emportant sur l'appréhension. Les enjambées se font plus longues et les foulées glissées de quelques dizaines de cm laisseront derrière elles les prémices d'une vraie belle belle petite voie creusée pour le confort de prochains randonneurs. Une belle petite voie creusée... et un trou... celui de ma chute dans le décor poudreux ! Sagement et gentiment le voisin s'occupait encore sur son chantier de bois à mon retour : "Je me demandais bien si quelqu'un d'autre que moi savait où vous étiez parti ? ". Rassurante attention.
Soirée épique. Les papas des deux jeunes couples avec bébés laissent femmes et enfants au gîte pour repartir de nuit à la pharmacie de garde de MOREZ acheter le lait oublié. Ils resteront bloqués sur une congère entre la départementale et le refuge. Christian part avec pelle et 4x4, il ne remonte que papas et lait. Même mésaventure pour l'avant-garde de la grand-mère et de 3 de ses petits enfants une heure plus tard. Christian repart avec pelle et 4x4, remonte grand-mère et mouflets. Le reste de la troupe, c'est à dire grand-père et les 16 autres petits-enfants, préférera abandonner les véhicules au bord de la départementale et monter à pied sous les bourrasques de neige cinglante... Au four et au 4x4, à la pelle et à la tarte, au téléphone et à la soupe, à l'apéritif et à l'accueil... Christian réussira à faire très bien manger tout ce petit monde : soupe de pois cassés, gratin de crozets, saucisse de morteau, plateau de fromage, tarte aux myrtilles. Même qu'à minuit il montera pousser le rappel à l'ordre dans le dortoir où un nombre de cousins suffisant pour être très bruyants saute sur les lits dérangeant bébés et dormeurs ! Il n'y aura que moi et le couple de sages neuchatellois, sans histoire, pour ne pas avoir "animé" la soirée !
Je retrouverai Christian seul devant son bol de café au petit matin. Salle et vaisselle rangée, petit déjeuner prêt pour tout ce monde : "Petite nuit" me dira-t-il !
La tempête de bise souffle encore, mais le chasse-neige a libéré la route des congères. Ne pas traîner pour descendre le véhicule avant qu'il ne s'en reforme...
Vaincu par le vent de face toujours aussi cinglant et par l'épaisseur des congères sur un sentier disparu, je déchausse les raquettes 500 m après être parti, abandonnant mon projet de gravir à nouveau le RISOUX pour aller voir cet autre belvédère de ROCHE CHAMPION.
Bonhomme ou sapin ?
6 kilomètres plus loin, et à peine 100 mètres plus haut, il en va tout autrement des conditions météorologiques. Au lieu de débouler comme un fou-furieux dans la COMBE DES CIVES et de s'engouffrer dans le goulot de CHAPELLE DES BOIS, le vent s'étale et se disperse plus sagement sur le plateau vallonné de PRE PONCET.
sapin...
Les pistes de fond sont damées, personne à la vente des redevances... cadeau d'avant-saison !
... et bonhomme !
"On est bien là pour sécher, nourrir et réconforter tous ceux qui se présentent à la porte du refuge" disait Coco l'an passé.
Ben oui, même que ce week-end des 30 novembre et 1er décembre 2013, le refuge "Chez l'Aimé" affiche encore "fermé",
... mais chez Coco, c'est toujours grand ouvert !
F6 - décembre 2013
Extrait de "Agathe - enquête de paysage" - tome 5, dernier ouvrage de l'excellente publication du CPIE de Franche-Comté "Montagne du Jura - des hommes et des paysages" - à la plume Maryse VUILLERMET, aux illustrations Desmond BOVEY...